dimanche 7 décembre 2014

Le gouffre du néant

Drôle de rêve eu entre deux eaux.
Dans ces passages délicats où la conscience retrouve peu à peu son esprit, il est parfois possible de choisir de modifier le songe avant le réveil. Mais ce matin là, il était davantage question de déployer ce processus dans la vie même. Dans le songe.
Confus, n'est-ce pas?

Ça l'était pas tellement pourtant, à la base.
Un rêve de grands voyages, de fêtes jusqu'à point d'heure.
Dans une immense maison, bien rangée à l'américaine, des parties endiablées. Mon mec extra et moi on prend le matelas et on va se caler dehors, sur la pelouse de l'entrée, dormir à la belle étoile. Il y avait quelqu'un d'autre, nous étions trois. Un garçon sympa que j'aimais beaucoup aussi. Regardant mon mec extra faire la maintenance de ce grand festival de hippies, je racontais à ce dernier à quel point je trouvais mon amoureux craquant et fabuleux. Nous faisions des grandes distances tous les trois, nous déplaçant pratiquement par la pensée. C'était si facile, la vie aisée.


Je suis réveillée par les doux baisers de mon mec extra qui s'en va travailler.
Après un instant de tendresse, je me rendors.

Les voyages continuent en groupe, à travers les époques et les contrées. Une ambiance peace, avec des fleurs dans les cheveux. Un peu comédie musicale, à la HAIR. Je suis tombée amoureuse d'un bel inconnu, il s'appelle John. Notre histoire est neuve et teintée d'une intensité et d'une fraicheur presque irréaliste. Un amour onirique, en somme. Nous marchons beaucoup, nous célébrons chaque instant comme l'instant présent. Avec le groupe, nous nous posons un moment auprès d'un étrange précipice.
Le lieu est d'une géométrie parfaite.
Tout en noir reluisant, comme l'hématite.
Un mur sur la gauche haut et lisse, une sorte de marche creusée dans le sol sur laquelle nous évoluons, d'environ 1m/1m50 de largeur, puis sur la droite, le gouffre, le vide.
Le néant infini, noir de jais.
C'est assez beau, cette brillance du matériau. Le danger est bien présent, mais le passage n'est pas long et l'on peut voir derrière ou devant la lumière de la terre ferme. De la vie normale. Cela nous sécurise.
Le petit groupe s'allonge ici pour reprendre son souffle. On sort les chips, on reprend des forces. On discute, le ton est à la rigolade et à la décontraction. Par précaution, je m'appuie contre le mur de gauche. Le gouffre n'a tellement pas de fond que quand on le regarde on a l'impression qu'il t'aspire. C'est hypnotisant.

Les gens se taquinent, se chamaillent. John, l'homme de mon rêve, toujours très nonchalant, en face de moi, s'étend et pose le coude par terre pour se prélasser. Un peu trop loin du bord hélas. Je le regarde faire, je vois son geste, je pressens ce qui arrive mais je n'ai pas le temps de le prévenir qu'il perd l'équilibre et glisse dans le fossé, d'un cri vite étouffé par le rien qui habite cet endroit.
Je me précipite au bord du gouffre, observe le fond, désemparée. Pas de doute, John vient de tomber dans le néant. Un néant qui n'a ni prise, ni fond. On ne le retrouvera pas. On ne pourra même pas aller chercher sa dépouille. Il n'est pas mort. En une fraction de seconde, il a cessé d'exister, c'est beaucoup plus brutal.

Je m'en veux de l'avoir entraîné là-dedans, il était beaucoup trop insouciant pour ce genre de voyage. Je pleure. Je me sens coupable. Même si c'est un rêve, je m'en veux de ne pas l'avoir protégé comme il se doit, de n'avoir rien pu faire que d'assister à son plongeon dans la non-existence.

Je reprends pieds dans une nouvelle réalité. Je n'ai plus envie de continuer le voyage pour l'instant. Pour l'instant, je dois faire le deuil de John, que j'ai aimé, même si ce n'était que le début de notre histoire. Je me rends à l'église, aux funérailles, je vois sa mère en larmes qui se recueille devant un cercueil vide. Je pleure avec elle. Je lui dis que je suis vraiment désolée pour tout ça. Il s'appelait Vaï, Laï, Raï ou Saï, je ne sais plus trop. Je ne sais plus quel était son nom onirique, et son nom réel. J'avais aimé un John dans un de mes rêves et maintenant, par ma faute, on enterrait le souvenir de Vaï. Ou l'inverse. Je savais qu'il y avait cette frontière entre la réalité rêvée et éveillée. Et je me disais, si tu veux Anne, il n'est pas mort. Puisque tout ça s'est passé dans ton rêve, si tu le souhaites, tu peux décider que cela n'influe pas ta réalité éveillée. Tu peux décider que le rêve n'implique pas le réel dans l'équation, et rendre la mort de John tel un simple élément n'appartenant qu'à l'onirique. Qu'à TON onirique, le seul, dissocié de la conscience collective. Tu peux.


Et je me suis réveillée sur un nouveau paramètre de mon existence.

dimanche 30 novembre 2014

Ces mecs qui me parlent d'aventure

Je ne sais pas.

Il sentait plus la merde que cette petite pouponne qui avait chié dans son froc un peu plus tôt dans l'après-midi, que j'ai pourtant gardé aux bras vingt bonnes minutes.
Est-ce que c'est son odeur qui faisait que je ne voulais pas de lui ou est-ce que je ne voulais pas de lui à cause de son odeur?

Il a pourtant tout pour plaire ce garçon. Il est beau et charmant, sensible, drôle, intelligent, il a mon âge, il danse, chante, multi-instrumentiste, fait du théâtre, écrit, compose. Il est sportif. Il est kiné, bonjour la dextérité. Et surtout, il est intéressé. Sous couvert de l'humour, il me fait des avances. Pas très fines, les avances...que je ne peux m'empêcher d'être saisie par le fou-rire lorsqu'il tente des rapprochements peu discrets. Pardon à lui.

En ce moment, je n'ai pas envie que l'on m'invite à danser.

En ce moment, j'ai pas mal d'occasions. Mais même quand je joue avec le feu, quand je me pose moi-même au bord du précipice, que je me pousse un peu, pour voir, l'adrénaline. Je n'ai pas envie de sauter. Je n'ai pas envie que d'autres me prennent dans leurs bras, ne serait-ce que pour avoir moins froid.

Je crois qu'à sa manière, il a rehaussé ma barre d'exigences, et celle de mes valeurs.
Pas plus tard que tout à l'heure, lorsque je disais au gérant de ce café que j'étais en couple avec mon mec extra, il m'a fait de grands yeux :

- LE mec extra? Celui que je connais? Ouaouh. C'est pas n'importe qui. C'est un homme précieux. Il a de la chance de t'avoir. Mais tu en as aussi. Si j'étais une femme, je crois que je serais amoureuse de lui.

Les gens continuent à me raconter à quel point il a été un tremplin, un soutien dans leurs vies, à quel point ils sont admiratifs de ce qu'il est, de ce qu'il fait. Moi aussi, je suis admirative, pleine de respect. Lorsqu'il prend la parole, et que mon épaule doucement touche la sienne, je me sens un renfort silencieux. Une allié à sa cause, comme il peut formidablement l'être à la mienne.

J'aime qu'il se réalise.

Je trouve ça rare. Et quand je sais qu'il n'a pas eu d'histoires depuis bien six ans, qu'il est farouche et exigeant, je me sens emplie de reconnaissance. Qu'il m'ait choisie moi. Et pas quelqu'un d'autre.
Qu'il m'ait fait de la place dans sa vie, si complète.
Je ne sais pas.

Ce n'est pas comme si j'étais davantage rassurée.
Je sais qu'avec lui, tout peut se terminer du jour au lendemain.
C'est juste que je ne sens plus le besoin de me rassurer en les autres.

mercredi 19 novembre 2014

Il est beaucoup trop tard pour être philosophe

Tu me manques.

Je me réécoute ton vieux message sur mon répondeur en me marrant comme une débile quand tu prends ton accent du sud à peine exagéré pour déclarer "salut, c'est la bichounette! la bichounette des quartiers qui appelle sa panthérounette!".

Tu me manques. Tes fous-rires solitaires me manquent. Ils sont contagieux. J'ai terriblement envie de te regarder sur le lit te plier en deux, la crampe du sourire. Tu me manques. Nos combats de tétons me manquent. Tels des gamins, se donner des défis bizarres à relever. C'est un peu comme si c'était ta première histoire, n'est-ce pas? Comme si tu découvrais ce qu'était l'amour à deux, partager, s'ouvrir sans honte, sans débat. Tout ça. T'es un peu mon renard à apprivoiser à moi. Cela prend du temps, pour te découvrir. T'effeuiller au fur et à mesure. Doucement, passer le savon sur ta peau. Effarouché. Et le fait de savoir que ce simple geste là dans ta vie, tu ne l'as accordé que très peu de fois, ça le rend précieux. Ça rend tout précieux. Chaque étape anodine de franchie, un véritable trésor à mes yeux.

Tu sais, j'ai mon coeur qui vadrouille un peu partout à la fois, et j'ai pas les yeux dans la poche pour autant. Mais je crois que tu le sais. Je crois que tu vois les serrages de bras à la fin des concerts, et que ça te va bien comme ça. Après tout, tu la vis toi aussi, la place de tous les regards. Tu la connais. Elle et ce qu'elle implique, ce qu'elle remue en les autres. Moi j'ai confiance en toi. Mais c'est pas difficile, t'es du genre admirable alors. J'ai confiance en toi pour ce qui est de moi. J'ai confiance en ce que tu peux m'apporter. Me transmettre. J'ai confiance en l'amour, le respect, la vertu que tu me portes. J'ai confiance en mes faiblesses parce que je te les communique. Je te les offre. Sans m’apitoyer, ni me conforter dans mes erreurs. Juste, ensemble, se donner le courage d'être ce que l'on est, tout en continuant nos efforts pour évoluer vers d'autres choses.

En ce moment, je lis, écoute, regarde pas mal d'informations sur divers courants de pensées et leurs dérives. Aussi éloignés soient-ils.
Je me dis qu'on dit tous la même idée avec des mots différents.
Qu'on va tous au même endroit sur des routes variées.
Je me dis que le monde n'est pas si incohérent, que le reflet de la société non plus, vis à vis du reste.
Je me dis qu'on a souvent ce que l'on veut, mais qu'on ne désire pas forcément les bonnes choses de la vie.

Toi, je t'ai souhaité. Lorsque j'ai écrit sur le petit papier "les hommes sont courageux".
Lorsque j'ai désiré très fort "je veux prendre le temps".
Tu étais la formulation de mon vœu.

Alors au fond, même si c'est difficile à admettre pour moi, ça ne regarde personne.
Parce que c'est au fond, justement.
Bien là. Dans l'intimité de chacun.


samedi 25 octobre 2014

Décontractés du gland

Ce matin était un beau cadeau.
Ses bras qui reviennent me tenir chaud alors que je me rendors doucement contre son cœur. C'étaient des gestes qu'il ne se permettait pas forcément, avant. Je le vois prendre confiance, s'ouvrir à moi. Étendu dans mes draps, je le vois chez lui. En sécurité, dans son petit cocon intérieur qui se superpose à mon être. Je lui ai dit, depuis quelques temps, tu me touches différemment. Dans tes mains, c'est toujours aussi doux, mais il y a quelque chose de plus. Une certaine valeur ajoutée. Comme si mon visage entre tes doigts, c'était précieux. Je le sens. Tu es de plus en plus libre. Léger. Tu te permets de vrais fous-rire à gorge déployée. Tu te permets de jubiler à mes couillonnades, sans bienséance. Tu te permets de lâcher des caisses en me regardant dans les yeux. Parce qu'il n'y a pas de honte. Il n'y a pas de peur. Il n'y a que toi et moi. Tels que nous sommes.

vendredi 17 octobre 2014

Les rencontres incongrues à la première heure

Ils sont marrant ces gens qui peuplent ma rue à une heure du matin.
J'avais pu côtoyer un de ces soirs ceux qui essaient de t'intimider mais qui n'y parviennent qu'à moitié.
Je découvre ceux qui essaient de te rassurer mais qui n'y parviennent qu'à moitié.

Mise en situation :

Je rentre chez moi, il est bientôt une heure, le quartier est désert.
J'entends quelqu'un derrière moi qui court d'un pas vif mais discret dans ce qui semble être ma direction. En même temps, il n'y a que moi...
Je me retourne.
L'homme comprenant mon inquiétude, m'aborde en continuant sa course :

- N'aie pas peur! C'est juste qu'avec le bracelet (il me montre sa jambe) je suis en retard pour rentrer à la maison...
- Ah! Je comprends. Bon courage!

Je lui fais un signe cordial de la main tout en m'apercevant qu'il s'arrête et sort ses clefs....pour ouvrir la porte à côté de la mienne...

Bon...

dimanche 5 octobre 2014

La vie est un théâtre, tout proche de La Scala de Milan

25/09/14, 14h26
En tailleur sur la Piazza del Duomo.
Les dalles sont chaleureuses et les pigeons me tournent autour.
"Assise comme cela, tu fais venir l'inspiration, n'est-ce pas?" me demande un vendeur de bracelets porte-bonheur.
Je viens de rencontrer mon cousin musicien milanais.
Emotions.
C'est la première fois que nos générations se côtoient.
C'est la première fois pour moi que le contact s'établit d'une frontière à une autre.
Les pigeons sont étranges. Il y en a un tout rabougri qui essaie de me monter dessus. Il y en a un autre qui est amoureux. Tout près de moi, il reste sans bouger. A me regarder.
Les gens nous prennent en photo.
En réalité, impossible de rester assise par terre sur cette place del Duomo, sans rameuter les foules...
Elles sont bien trop curieuses.
Il est 16h00. Une heure et demi que j'essaie d'écrire ce texte.
C'est très amusant.
Pour les autres surtout, apparemment.
Un bel italien aux yeux bleus de folie m'invite à boire un verre. Des jeunes filles veulent savoir si tout va bien, si je suis assise, là, de mon plein gré. Un grand père de Como à l'humour acéré me demande lui aussi s'il peut me photographier, se moquant de l'attraction que je suis, et me raconte sa vie pendant toute l'heure.
En italo-franco-anglais.
J'ai la mission de transmettre à mes parents de sa part que je suis une véritable MERAVIGLIA GENETICA!!
Avec deux points d'exclamation.
J'ai l'impression d'être en représentation.
La vie est un théâtre, tout proche de La Scala de Milan.
16h29
Une revendicatrice raffinée.
Je me souviendrai longtemps de ce qualificatif.
En attendant, je suis dans la Santa Maria Presso San Satiro, et j'ai la main qui me brûle énormément.


dimanche 28 septembre 2014

Les madones et leurs blonds bambini

24/09/14, 14h18
Les gens parlent cette langue qui chante autour de moi.
J'ai cru, il y a bien trois ans, parvenir à en cerner les prémices. Mais aujourd'hui je me fais bien embrouiller quand il s'agit de commandes et je n'ai pas tant de jours que ça devant moi pour ne plus me faire avoir comme une bleue.
Des petites boucles blondes à l'accent à croquer.
Elles me pointent du doigt, m'appellent signorina mais je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elles me racontent.
C'est frustrant, assez.
Je suis au parc. Indro Montanelli.
En face de la fontaine, et de cette grande bâtisse qui ne porte pas de nom sur Google Maps.
Je reconnais les lieux, même si je ne les ai physiquement jamais traversés.
C'est parce que tout se ressemble?
Ou bien que mes visites se font en rêve?
Je trouve les artères principales et les rues beaucoup trop grandes pour une ville italienne.
Puisque c'est comme ça, je pars en quête d'une gelateria.
17h44
Seule à la Pinacoteca  di Brera.
La ventilation pour unique amie, ou en tout cas, un bourdon qui y ressemble.
Je ne sais pas quand ce dédale prendra fin.
Déjà plus de trois heures que je déambule.
Tombée amoureuse de Cima, Bellini, Crivelli.
Hayez.

samedi 27 septembre 2014

Changer d'égard

23/09/14, 20h55
Piazza del Duomo.
Les pirouettes lumineuses qui s'élancent jusqu'aux pointes de la cathédrale font de bien originaux feux d'artifices.
Il manque quelque chose, quand même.
Il manque toi.
A quoi ça sert, tous ces magnifiques paysages urbains, si t'es pas là à côté de moi pour en perdre les mots ensemble? Pour se poser sur les marches un instant, comater. Comme de gros oreillers mutuels.
J'ai froid.
C'est beau.
Un murmure à l'abandon. Une extase sourde et solitaire.
Ce n'est peut-être plus de mon âge, les voyages esseulés.

jeudi 25 septembre 2014

Changer de gare

23/09/2014, 15h00
On pourra dire ce qu'on veut, l'Italie c'est quand même quelque chose.
Premier jour d'automne, je suis dans un train. Les sommets défilent, c'est un chemin qui m'est étranger.
Je m'y rends toujours dans ces eaux là. Je crois que c'est parce qu'il me faut bien tout l'été pour me décider.
Pour me résoudre à partir seule.
J'ai 150€ en poche.
Une de mes activités préférées? Déambuler. Anonyme dans la ville.
A la recherche d'un son, d'une odeur, d'une couleur. D'un fragment de chez soi dans le cœur.
Je ne peux pas lutter contre l'appel romain.
Hâte de m'y perdre. Et de me retrouver. Me ressourcer dans la surprise de l'instant.
Ça faisait au moins trois ans.
Et tous les ans, je rêvais de repartir. Plus forcément pour un ailleurs. Mais pour là-bas.
Stazione Bardonecchia.
Et la suivante?
16h35
 Milano. Panini Durini.
Je me sens amoureuse.
Mais d'un peu tout le monde à la fois.
Les italiens sont choupinets. Craquounous.
Et déjà se prendre en pleine poire de larges sourires ravageurs.
Sentiment de liberté conquise, là, à nos pieds.
Marcher.
Des heures, d'une foulée lointaine.
Se laisser faire. Les feux rouges virer au vert.
Les piétons ont les mêmes feux de circulation que les véhicules à moteur, et les cyclistes traversent au passage clouté. Au début c'est assez déroutant, à ne plus savoir où regarder, où se placer dans le trafic.
Je me sens bêta, le genre de gentille fille à qui il faut lentement lui expliquer comment ça fonctionne, la vie.
C'est plutôt inédit.
Ou disons ancien, au point de ne pas récupérer en sa mémoire de frais souvenirs.
Milano. Enchantée de te retrouver.

lundi 22 septembre 2014

Cruel timing

Exorciser encore.

Après toutes ces déclarations déversées dans le blanc de tes yeux, nous nous sommes mis à longer le canal. Doucement. Nous nous sommes légèrement perdus aussi. Mais c'est un peu pareil à chaque fois.

Nous avons marché longtemps, comme à notre jeune habitude. Une satisfaction sourde, la réalisation de mes desseins romanesques. Le bruit des voitures commençant sérieusement à nous agresser les tympans, nous nous sommes posés à l'ombre d'un parc, comme tant d'autres. Tu m'as tout raconté. Et pendant ce temps là, je t'ai dévoré du regard. On a rarement une telle occasion de dévisager d'aussi près son idole de la sorte.

Je comprends enfin la tristesse dans tes yeux. Ton corps d'enfant. Ton sourire frileux et ton dos vouté. Je comprends ton faux optimisme qui ressemblait davantage à de l'indifférence par défaut. Ta solitude, ta timidité, ton incapacité à faire un choix. Ta blessure d'abandon. Ca me saute à la gueule maintenant, dans chacune de tes photos. Moi qui étais subjuguée par ton charme et ta beauté, je passais bêtement à côté de tout le reste. Pardon. Tellement pardon.

Tu m'as tout confié. Tu avais sans doute besoin de t'épancher quelque part. En vue du poids de ces secrets là, je compatis. A ton histoire, à ton parcours. Ton complexe, moi qui le pensais surjoué pour la passion du drame et de la séduction, n'est peut-être pas si factice. Peut-être même que tu es sincère.

J'avais envie de faire pipi, tu avais froid. Bien qu'à deux reprises, tu t'es dit que ce serait une bonne chose que tu rentres seul pour écrire, tu m'as proposé de t'accompagner chez toi. Feux d'artifices en mon crâne. Découvrir ton intérieur. Mes rêves en orbite, qui bientôt planteront leur drapeau sur le flanc de la réalité. J'enlève mes chaussures sur ton canapé. Des disques partout, empilés sur eux-mêmes. Tu entames un défilé musical. Je réussis même à te faire chanter avec ta guitare des bribes de nouvelles chansons. Ça sent la dépression. Tu me feras écouter tes artistes préférés. Tu danseras aussi. Nous fredonnerons ensemble, des improvisations ragtimesque. Tu me liras Léonard Cohen. Je t'aimerai comme avant, dans un lointain souvenir. Et quelques heures après, les albums commençant à s'épuiser, les métros aussi, je déciderai de rentrer. Tu ne me proposeras pas de rester chez toi dormir. Tu t'inquièteras seulement de mon moyen de retrouver le chemin.

Et, nos pas s'entassant dans le couloir de l'entrée, après les deux bises de convenance, tu reviendras m'embrasser. Je perdrai pieds, un peu, en m'enfuyant dans la cage d'escalier. Tu me demanderas plus tard si cela m'a mise mal à l'aise. Je te répondrai que non, que ça m'a juste éveillée à des désirs enfouis, des envies de te pétrir très fort.

- Mais tu ne l'as pas fait.
- Apparemment non.
- Je n'insisterai pas, alors.

On parlera brièvement de mon mec extra, tu te féliciteras de n'avoir eu à attrister personne. Et moi, je resterai seule sur ma faim, me mordillant les lèvres derrière mon écran de téléphone.

- Les actes manqués de timing... C'est pas comme si je l'avais envisagé depuis quatre ans...
- Tu relieras sûrement ça à quelque chose...

samedi 20 septembre 2014

Tant pis pour nous, alors

Je relis de vieux textes à moi.

"J’aurais voulu au moins une fois que l’on fredonne à deux, sur les quais de la Seine, ça aurait pu être un air à toi, ou à d’autres, on aurait marché ensemble, j’aurais aimé te prendre la main. Mais c’est inutile. Je dois cesser de m’agripper à ton image, mon prince de l’amour au romantisme discret. J’aurais été ta Lara Croft toi mon beau mon fort mon Shaft. Je ne suis que celle qui s’imagine mille contextes pour une seule fin improbable."

Si j'avais su, à l'époque. Si j'avais eu la possibilité de voir mes souhaits se réaliser.
Aujourd'hui, je suis une autre personne.
Le genre de paroxysme qui n'atteint plus sa cible.

Mon idole de chanteur, s'il savait le nombre de fois où je l'ai quitté dans mon imaginaire. Où j'ai vécu des ruptures de raison, et des deuils de son absence. S'il savait la violence des claques que je m'assénais pour faire un pas, aller à sa rencontre, et les autres, pour partir. Pour l'oublier une dernière fois. A chaque fois.
Pour vivre dans l'échec de cette impossible idylle. Malgré les signes, les correspondances, les hasards, malgré les rêves qui peuplaient ma mémoire.

Hier, c'était salvateur. Et minable.
Le voir dans un tel état de déperdition amoureuse. J'aurais pu le prédire, en vue de notre dernière rencontre. Mais le sentir si triste, presque inconsolable, je n'ai pas eu envie de rire de lui. C'est un mal-être très intérieur, même s'il en parle. Qui devait arriver. A force de jouer. Première fois qu'il est tout seul. Mais il s'en réjouit :

- Ca tombe bien, aucune fille ne me plait! Et celles qui peuvent me plaire, je ne les intéresse pas...

Je reste perplexe face à ce genre de discours, qu'il m'a déjà sorti plus d'une fois.

- Tu vois V., le chanteur de mercredi soir? Toi même tu dis qu'il dégage quelque chose de très séduisant. Eh bien, toi l'idole de chanteur, c'est pareil.
- Ca n'a rien à voir! V. est un tombeur, il a eu des centaines de nanas, elles grappillent toutes autour de lui à la fin de ses concerts! Alors que moi, à chaque fois, je rentre seul. Même mes musiciens se font draguer à ma place!
- Mais tu vois bien, quand-même, elles sont toutes amoureuses! Les hommes aussi, ils sont tous amoureux de toi! Tu dégages un truc, une sorte d’appât qui crie "aime-moi"...
- Tu dois exagérer. Pourquoi alors personne ne vient me parler? Moi je ne sais pas draguer, et les filles ne viennent pas vers moi.
- Elles se sentent surement la millième de plus sur la liste d'attente. A chaque fois que je parle de toi à quelqu'un qui te connait il me dit "ah lui? j'en ai déjà entendu parler, j'avais des amies qui en étaient complètement amoureuses"...
- Je ne sais pas, ce n'est pas la première fois qu'on me le dit. Mais en moi, j'ai l'impression que je n'ai rien pour plaire à quelqu'un. Quand j'en causais à V. il se foutait de moi, il pensait que je lui racontais des salades. Mais avec le temps il a compris que je n'avais pas de raison de lui mentir, je me sens vraiment comme ça. Je suis très perspicace quand il s'agit d'autrui mais quand il s'agit de moi, je ne pige rien.
- Regarde-toi déjà, tu es aussi beau que V., et tu as autant de succès dans le public, crois-moi! Tu me plais même à moi!
- Ah bon?
- Quoi, tu ne vas pas dire que tu ne l'avais pas remarqué. Ça fait quatre ans que je te tourne autour!
- Mais non, je n'ai rien vu!
- Toutes les fois où je suis venue...je t'ai écrit des tonnes de lettres, j'ai fait des reprises de tes chansons...
- D'autres aussi ont fait des reprises de mes chansons....
- Sauf que je n'en ai pas fait une, mais six que je t'ai envoyées! Faut être un peu toquée quand même...
- Mais Anne, t'aurais dû me le dire! T'aurais dû venir me parler!
- Tu vois pas que j'étais complètement paralysée en ta présence? J'arrivais pas à aligner deux phrases correctes. Je n'arrivais pas à manger quand t'étais là, d'ailleurs, je préférais m'enfuir plutôt que d'être dans la même pièce que toi, tellement l'air en devenait irrespirable.... J'ai essayé pourtant de te dire, de t'amener mon coeur, mes sentiments de façon détournée, je pensais que c'était flagrant, que tu avais deviné depuis longtemps, que tu t'en fichais...eh bien, tant pis pour moi.
- Non, tant pis pour moi!

- Tant pis pour nous, alors...

Il m'a embrassée

J'ai jamais mangé un sandwich si dégueulasse.
Est-ce parce qu'il est vraiment mauvais, ou parce que je n'arrive à rien avaler depuis que mes pieds ont quitté son appartement?

Il m'a embrassée.
Mon idole de chanteur.
Il m'a embrassée.

Sur le pallier de la porte, après les deux bises d'au revoir, il a posé ses lèvres sur les miennes. Je les ai vues arriver au ralenti. J'ai à peine eu le temps de maugréer un "noooon" de dépit, que ma main lui agrippait déjà les reins pour le coller à moi. Je me suis enfuie dans la cage d'escalier. Il m'a lancée :

- C'était si grave que ça?
- C'est que...je ne vais plus avoir envie de partir après...

Mais il le fallait.
Même si j'attendais ça depuis quatre ans.
Même si j'espérais plus.
Il le fallait, parce que chez moi, il y a un homme extra qui m'attend.
Quelle merde, les actes manqués de timing!

J'avoue, j'ai eu envie de lui attraper les cheveux. J'ai eu envie d'essayer, pour toutes les fois où j'avais ressassé en mon ventre mes films romanesques. Inlassablement, mes rêves de prince charmant et lui dans le rôle principal. Et ses chansons, en boucle. Sous toutes les coutures, toutes les déclinaisons. Je l'ai aimé en secret si longtemps et je pensais pourtant que ça crevait les yeux. Mais il n'avait pas vu, et j'en restais bouche bée.


[à suivre...?]

vendredi 19 septembre 2014

Entre quatre yeux et un bouquet champêtre

- C'est une bien jolie table que tu as là.

Les deux mains de cette idole de chanteur appuyées sur celle-ci, face à moi, les yeux rivés.
Il renchérit :

- Et sinon, tu chantes?
Regard écarquillé.
- Bah....hmm....ouuui...?
Il rit.
- Je veux dire, tu fais des concerts en ce moment?
- Ça m'arrive.
- J'aimerais bien venir t'écouter chanter.

C'est mon idole de chanteur.
De sa bouche, entendre qu'il aimerait venir à un de mes concerts.
C'est le monde à l'envers?
Moi qui me suis tapie dans son public une bonne dizaine de fois, dans quelques recoins de France...
Je crois rêver. Je lui demande :

- Tu es libre en journée?
Il me répond par adverbes, en hochant de la tête vivement :
- Complètement, je suis complètement libre!
- On se voit alors?
- Mais carrément!

Ça a l'air si simple. Alors qu'avant. Avant.
2010.
Déjà...
Je chiais dans mon froc.
T'arrivais devant moi, je partais en courant.
On se regardait dans le blanc des yeux pendant des minutes entières et ce n'était pas un ange qui passait, c'était un élevage non, un troupeau. Le soir, quand je rentrais pleine de remords, je t'écrivais des lettres envolées. C'était ridicule. Qu'est-ce que j'en ai couchées, des déclarations perdues dans l'amer, les échecs de ces pas qui ne se faisaient pas, pétrifiés par ma gaucherie. Ma conviction que je ne pouvais pas t'intéresser, toi le beau, l'inspiré, le solitaire, le poète romantique plein de sarcasmes, de folie et moi, la groupie transie.

Un premier rendez-vous manqué à l'aube d'un train qui est arrivé à l'heure.
J'ai mis trois ans avant d'oser te renvoyer l'invitation.
Rappelle-toi, le cœur sur l'estomac, j'en ai vomi d'incertitude juste avant notre première rencontre en tête à tête. A t'asséner sans cesse des vents minables, parce que j'y croyais pas moi-même. A tout ça. A ce truc.
Aujourd'hui, je suis quand même bien contente de ne jamais t'avoir cédé qu'un seul baiser dans le cou.

Parce que bon.

C'est beau les rêves. Mais le vide de l'irréel, ça nourrit pas son homme.
Franchement, tu m'as rendue malade.
Malade d'amour.
Tu m'as rendue inconsistante, faiblarde, complexée. Si petite en ta présence.
Avoir pu te parler hier comme à quelqu'un de normal, si tu savais.
A quel point c'est une respiration.
Une victoire sur mes doutes.

Et demain, près du canal de l'Ourcq...
Je suis à Paris...

mardi 16 septembre 2014

Une attirance humaine

L'amour rend-il aveugle au point de ne pas voir qu'on est même amoureux? Qu'il est là, juste là. En face, gros comme le nez au milieu de la figure, cet homme qu'on attendait.

Quand j'explique que cette relation est assez particulière, on me répond "mais Anne, avec toi c'est particulier à chaque fois". Alors oui, ma crédibilité se perd dans les méandres de mes histoires particulières. J'y peux rien. Si je fais pas ça de la plus commune des manières. Si les personnages sont étranges. Je ne les choisis pas pour ce critère. En réalité, je ne les choisis pas. Je les sens. Dans un premier regard, je les sonde. Ça me remue ou pas.

S'il te plait viens danser, près de la scène il s'était avancé, seul, contre les barrières. Il était là alors je l'ai fixé lui. Pendant longtemps. Les vers de la chanson. Troublant, à quel point ils étaient une invitation. J'ai senti une profondeur, détourné les yeux par pudeur. Ça ne m'a pas remué les tripes. Ça m'a remué le coeur. Et c'était cette chose là qu'il m'était difficile d'admettre. La différence d'origine. Avec lui, je ne vibrais pas par les sens, par tous mes pores. Je n'étais pas cette sauvage de l'amour, à l'attirance tribale, animale. J'étais touchée, je vibrais d'émotions, en résonance, d'une attirance humaine. Fondamentalement humaine.

Peut-être qu'il était nécessaire, ce détour.
Pour me rappeler où j'allais, et d'où je venais.
Peut-être qu'il me fallait encore une fois réévaluer mes souhaits et mes objectifs.
Qui sait.

Quand je vois la tournure que prend ma vie sentimentale en si peu de temps et tous les cadeaux qui jonchent ma route, je me dis que devant moi, juste devant, il y a un petit poucet qui sème. L'amour rend-il aveugle au point de ne pas déceler cet essentiel qui se trame sous nos yeux, se délie sous nos pas?

jeudi 11 septembre 2014

Petite leçon de savoir vivre

Une heure du matin.
Ma rue est déserte.
Deux hommes sont assis sur le palier voisin de mon immeuble. Un troisième est debout à discuter, short, torse nu.
Je descends du trottoir, assez étroit, je n'ai pas envie de les traverser.
Ils se tournent vers moi, m'observant avancer.
Arrivée à leur niveau, je les salue, leur disant bonsoir.
Les ayant à peine dépassé, j'entends balancer derrière moi, la voix glauque de circonstance :

- Tu sens la peur...

Sous-entendu : le danger qui te guette, tu l'as senti toi aussi?
Je ralentis, me tourne vers eux.
Fais ma plus belle tête incrédule. La bouche ouverte, les grands yeux ronds, les sourcils relevés.
Pas de chance, je m'arrête à la porte à côté, les fixer de la sorte, ma clef entre les mains.

- Non mais, je rigolais...

Se justifie l'un devant mon silence hébété, les mains ouvertes en guise d'amendement.

- Aaaaah! Parce que bon, balancer comme ça, "tu sens la peur" - le caricaturais-je en imitant sa voix - à une nana, en plein milieu de la nuit, la rue complètement déserte, c'est assez.....bizarre....comme blague, tu avoueras!

Les deux autres riaient à gorge déployée, je crois qu'ils ne se moquaient pas de moi, mais plutôt de leur compère tout penaud qui venait de se prendre une espèce de râteau qu'il n'avait pas anticipé.
Je leur ai souhaité une bonne soirée avant de passer le pas de la porte et cette fois, ils m'ont rendu la politesse.

Y'en a assez d'être flippés de la vie tout le temps comme ça.
Et s'il y en a qui contribuent à foutre le malaise jusque devant chez soi, faut pas se priver d'ouvrir sa bouche. Leur signifier que non, c'est pas normal, voire déplacé. Ce genre de phrases, dans ce genre de contextes.

La dernière fois, en pleine nuit aussi, un mec qui pissait sur une poubelle devant moi a croisé mon regard dans la rue. En remontant sa braguette il m'a dit en s'appliquant "bonsoir, tu es très jolie", j'ai incliné la tête en guise de courtoisie et tracé ma route. Il n'a pas vu le subtil geste, il était bourré. Du coup, il s'est senti vexé et continuait à s'exprimer derrière moi, en boucle, tout en me suivant sur quelques mètres :

- Oh, c'est pas gentil de pas répondre! T'es peut-être jolie mais t'es pas sympa!

Je me suis retenue de revenir sur mes pas parce que je n'avais pas tellement le temps, ni l'énergie d'ailleurs, mais si je l'avais fait, je lui aurais sûrement répondu ça :

- C'est pas tellement le fait que tu m'abordes qui me fait tracer sans me retourner. C'est que tu oses venir me parler alors que tu viens de pisser sur une poubelle juste devant moi, que t'as les mains qui viennent de t'égoutter le gland et que tu pues l'alcool, mais à quel point j'ai pas envie que tu m'approches! Je sais pas, ça te vient pas à l'esprit que c'est pas des choses qui se font, ça? Que c'est irrespectueux au possible pour celle que t'as en face? Qu'une fille qui rentre à pied seule le soir, le dernier truc dont elle a envie, c'est qu'un mec la suive pour lui taper la discute maintenant, juste maintenant? Et en plus bourré, et crade? Et tu espères vraiment qu'en retour de ce que tu m'offres, je vais être sympa avec toi? Je dis pas, en journée, dans d'autres circonstances, je t'aurais sûrement remercié pour ton gentil compliment. Mais là, c'est toi l'outré? C'est toi qui trouves ça pas sympa, irrévérencieux? Mais c'est à moi que tu manques de respect. Je ne suis pas le papier-cul sur lequel tu viens t'essuyer une fois que tu t'es soulagé, et ça, c'est le minimum du savoir vivre.

Bordel.

mercredi 10 septembre 2014

Retrouver l'enfant

Les rêves me laissent une telle marque, les yeux grands ouverts...
Une sensation assez féroce, et pas furtive.
Des réflexions, une envie de recherche. Un mythe à démêler. Un secret.

Cette nuit dans mon sommeil, je croisais une petite fille blonde en bas de la rue, de cet appartement où j'ai grandi moi-même. Elle était seule à jouer au soleil, courant sur le béton d'un trottoir à un autre. Le quartier était silencieux, les habitations paisibles. Je crus la reconnaitre. Je pris quelques instants pour m'amuser avec elle, elle répondait par énigmes. A la fin de notre entrevue, touchée par sa beauté et sa pureté d'enfant, je lui donnais un livre de son âge, que j'avais je ne sais pas pourquoi, emporté avec moi. Elle était ravie, le sourire jusque là. Et comme un geste qui tombait sous le sens, elle me tendit le sien. Je regardais ces pages cartonnées, le ciel bleu et les nuages simplifiés, comme dans les images à colorier et le titre, en majuscules, dont la première syllabe m'échappe : DALOUAI, VALOUAI, RALOUAI... Ca me parlait, j'avais déjà lu ce mot inventé quelque part dans un bouquin intellectuel pour adultes, chaque lettre composant l'acronyme d'un état chronologique d'évolution personnelle. Je savais aussi qu'une des dernières lettres formant le OUAI était erronée, selon certains courants de pensée. Et alors que je tenais son livre entre mes mains, tentant de déceler l'ultime énigme qu'elle m'avait posée, la fillette partait en sautillant dans une autre rue, toute excitée, sûrement pour montrer son beau cadeau à sa mère, m'étais-je dit. Je ne la revis plus, mais au delà de son présent, elle m'avait également laissé le sourire aux lèvres.

Le rêve continue. Il est riche. Je croise mon idole de chanteur. Il semble désormais fréquenter mon quartier, mes commerces de proximité. Soit il a déménagé de la capitale pour vivre ici par tous les hasards, soit il me suit. Étrange. Au début, je l'évite un peu. Je finis par l'inviter. Après tout, maintenant qu'il est là, tous les jours, je ne peux plus passer à côté. On se donne rendez-vous dans la soirée, comme il termine après moi et qu'il ne connait pas trop l'endroit, je le devance pour choisir le restaurant. Je marche seule dans des contrées que je n'avais plus foulées depuis longtemps. Je me sens nostalgique, un peu déconnectée. Si bien qu'à un croisement, je me trompe d'embronchement. Je m'en rends compte une fois que j'ai bien avancé. Je me dis qu'il sera peut-être plus facile de trouver un resto sympa par ici, mais que ça fait peut-être un peu trop loin à pied pour lui, et qu'il ne m'attend pas dans ce coin là. Je reviens sur mes pas. Tourne à gauche cette fois.

Les petites terrasses traditionnelles commencent à empiéter sur les trottoirs. J'adore ça. Un quartier complètement fictionnel de mon enfance, mais dans lequel je m'y sens comme chez moi. Les passages entre les tables se font étroits. Je bouscule une dame d'environ mon âge, on s'excuse mutuellement. Il m'a semblé qu'on voulait s'asseoir à la même table. Par politesse, on s'arrange un peu, réussissant à faire un compromis. Nous sommes voisines de tablées. Je crois la reconnaître. En fait, j'en suis sûre. C'est elle. (même si pas vraiment) Et la bouclette blonde de gamine que j'ai rencontrée un peu avant, c'est la sienne. Je souris complètement désormais. Je connais par cœur leurs frimousses, mais pour elles, je ne suis qu'une lectrice inconnue sans visage.

Nous attendons toutes deux quelqu'un. Je ne peux m'empêcher de lui adresser la parole, commençant à lui raconter mon apparition de ce matin, comme une cerise sur le gâteau de ma journée dès le soleil levé, et la boucle qui se boucle avec elle en face de moi, la mama, la génitrice de ce bout de chou angélique et adorable. Je lui raconte le livre que sa petite m'a gracieusement offert, et celui qu'elle a reçu en échange, qu'elle a dû s'empresser de lui montrer, comme je me l'étais imaginé lorsqu'elle avait disparu dans l'angle de la prochaine rue sans me lancer d'au revoir. Je vois sa mère changer d'expression au fur et à mesure de mon histoire, dépitée, ne réussir qu'à me sortir :

- Je l'ai perdue...

En guise de conclusion à mon récit joyeux.
Je reste sans voix. Ils ne la retrouvent pas, ne savent pas où elle est. Elle m'annonce cela avec désespoir, comme si elle avait déjà baissé les bras. Trop cherché en vain. Et qu'elle ne voulait plus aborder le sujet, parce que ça la rendait triste. Qu'elle voulait continuer à vivre, en attendant que les autorités la retrouve, sans s'apitoyer sur son sort, s'imaginer le pire, se culpabiliser à outrance.
Je réalise alors que cette petite puce qui courait en bas de chez moi n'avait déjà plus nulle part où aller lorsque nous avions échangé quelques mots. Et moi qui pensais qu'elle allait rejoindre sa maman, toute excitée par son cadeau. Elle n'allait rejoindre personne. Elle voguait juste avec le vent et les aléas. Sans destination. Mais sans perdre le sourire et le pétillement qui fait le propre des yeux d'une enfant.

J'ai pensé qu'elle n'était pas si perdue, puisqu'elle se baladait dans le coin. Que ce n'était pas si vain. Qu'ils la récupèreraient bientôt. En tout cas, je l'ai souhaité très fort. Mon idole de chanteur est arrivé, s'est assis en face de moi. Nous avons continué la discussion entre tables interposées, malgré nos convives respectives. Il s'est un peu ennuyé, je crois. Puis le rêve s'est poursuivi, sur d'autres chemins, d'autres perspectives...

vendredi 5 septembre 2014

Un pied d'égalité sur un piédestal, le rêve fou d'une équilibriste

D'accord il est craquant. Plutôt intéressant, drôle, pas trop con. Ouvert, plein d'esprit, de surprises, d'ingéniosité. De charme. Une certaine gentillesse, un attrait pour l'autre et de belles valeurs.
D'accord il avait une odeur, une peau à croquer. Un côté animal, des mains imprégnées dans ma chair, un épiderme réactif et une expression du plaisir bien personnelle.
D'ailleurs :
- Pour tout te dire, j'arrive pas à retrouver avec les autres ce désir, cette chimie particulière qu'il y avait avec toi. T'as mis la barre haut, Anne.
Puis il l'a répété :
- J'ai jamais eu ce degré d'intensité avec quelqu'un auparavant. C'était intense, mais trop, presque. Et ce n'était pas ce que je souhaitais à ce moment.
Et ça m'a fait du bien de l'entendre. Car même s'il y a cette blessure d'ego, cet échec qu'il ne soit pas tombé amoureux de moi, au moins, même si c'est d'un autre niveau, je lui aurai laissé un souvenir...

Finalement, avec le recul, je me rends compte.
Je crois que je vaux mieux que tout ça.
Qu'en amour, il ne faut pas avoir peur d'être ambitieux.

Je suis ambitieuse. J'ai besoin d'un homme capable de voir plus loin que le bout de son nez, quitte à mettre sa vie au service d'un idéal, des autres, d'une communauté. Quelqu'un qui voit grand, et qui se donne les moyens de rêver. Je suis ambitieuse. Et je ne crois pas être la femme qui saura rester en retrait, en soutien dans l'ombre, partenaire discrète d'un amoureux qui s'épanouit à l'extérieur. Je ne sais pas attendre sagement à l'arrière. J'ai besoin, moi aussi, d'être dans la lumière. J'ai besoin qu'on croie en moi, qu'on m'y encourage. Je veux un homme à la hauteur de mes ambitions. Prêt à se joindre à moi, à ce que l'on se donne la main, avancer dans l'éclat de notre propre soleil. Un homme pas précieux, un homme courageux, qui ne craint pas de se remettre en question, de se remettre au travail, sans cesse, bousculer ses certitudes. Un homme qui se blesse, qui se relève, qui continue malgré les épreuves à avancer sur son chemin, à vivre. Malgré les tentations, malgré la paresse et les aléas, qui ne plie pas si ce n'est pour mettre à l'épreuve sa souplesse. Un homme juste. Qui ne juge pas. Qui ne ment pas. Qui comprend. Qui ressent. Qui s'exprime. Un homme qui taille sa route, avec ou sans moi. Mais qui a choisi. Qui assume. Qui se réjouit de la tailler avec moi. Quelqu'un qui donne. Qui se donne. Qui soit là pour moi. Qui me fasse du bien. Qui fasse le bien. Qui se trompe de combat parfois aussi, mais que les erreurs renforcent. Un homme admirable, qui m'admirerait en retour. Un pied d'égalité sur un piédestal, en quelque sorte.

Évidemment, ça ne se trouve pas à chaque coin de rue.
Mais ça se trouve.
Et pour se faire, en premier lieu, on a tout intérêt à être ce qu'on a envie de vivre.

Pas de regrets pour mon bel argentin, donc.
J'ai perçu ce qui m'avait plu, ainsi que ses limites.
Je peux clôturer l'espoir, tourner la page sereine.
Une nouvelle définition s'inscrit à mes envies.
Ce n'est peut-être qu'une utopie, mais elle correspond davantage à ce que je ressens.

Après tout, je suis une utopie.
Je ne vais pas continuer à faire semblant...

jeudi 4 septembre 2014

Une belle danse d'écorchés

Et puis il y a toi.
Le mec extra.

Toi contre qui je m'endors, repue, sereine, entre tes bras qui s'emboitent bien sous ma nuque. Toi qui te fais tout petit au saut du lit, en silence, tracer les lignes de texte, toutes ces idées que tu répands à la surface du monde tout en veillant sur mon sommeil. Toi qui m'acceptes, avec mes doutes et mes défauts. Qui m'admire, qui s'intéresse. A mes doutes, à mes défauts. A tout ce qui me constitue, a pu me constituer, et me constituera. Je te respecte. Ce travail que tu abats. Cet être intérieur que tu forges à chaque instant, je le respecte. Cette façon entière d'aimer, bien qu'en charpie, bien qu'explosée. A nous deux, nous sommes un joli amas de coups durs, une belle danse d'écorchés. Mais l'on sait se soigner. Seuls, et ensemble. Se faire du bien, parce que c'est dans nos gênes. S'être trouvés sur des milliers de points. Se regarder. Sans prendre peur. Ni courir à perdre haleine.

J'aimerais tellement.
Si je pouvais.
Diriger le sentiment.
Faire que ce soit toi.
Toi qui m'habites.
Qui fais vibrer mes évidences.
Les intrinsèques.

Mais l'élan, tu le sais comme moi...

Si imprévisible.

mercredi 3 septembre 2014

Ce n'est pas le soleil, c'est l'été qui décline

Les pioupious ont réinvesti la terrasse, et le mobile à leur effigie fait de jolies ombres chinoises sur mon mur. C'est plutôt agréable, ce ciel bleu de fin de journée, ces façades orangées, ces contre-jour chauds et teintés de romantisme. Je me sens bien. Demain je vois le bel argentin.

Et si on rigolait comme de bons vieux amis?

Mon petit coup de colère est derrière moi. Je l'avais un peu en travers de la gorge après son appel téléphonique. Son silence d'un mois, en pleines vacances et l'infini des possibles, je l'ai trouvé égoïste. Alors au début, quand il m'a recontactée la queue entre les jambes et les mots qui lui manquaient, ça m'a fait marrer. Avec le recul et la réflexion, j'ai trouvé ça vachement moins marrant, et plus tant attendrissant.

Qu'on se le dise, les vacances, j'ai dû en profiter autant que lui.
Même si ce n'était pas planifié.
Même si je voulais pas, tomber sur quelqu'un d'extra, avant d'avoir vidangé le cerveau et recyclé le cœur des déchets du passé. Mais bon. Si tout se passait comme prévu, ça se saurait.

Ce n'est pas le soleil, c'est l'été qui décline.

J'irai seule à Milan, je crois.
Tiens, je viens d'apercevoir une paire de seins frais de jeune ingénue des années 30, saut dans le temps. Et combien de gens qui doivent me reluquer nue à travers ma fenêtre. Va savoir.

Je ne suis plus en colère contre lui, mais je ne me retiendrai pas de lui en tenir deux mots. De lui dire que ce n'était pas anodin, que ça a eu de l'impact, son petit cinéma. Que je repartirai pas pour le même schéma. Hors de question. Je suis peut-être sentimentalement téméraire, mais pas masochiste pour autant. Et qu'après m'avoir fait souffrir, légitimement, il faut savoir regagner ma confiance. Plus par des gestes, des fulgurances époustouflantes d'expression, d'honnêteté, d'envie, mais par la preuve la plus tangible. La durée. La persévérance.

On n'en est pas là. Et pendant ce temps, les histoires s'empilent.
Même si à tous les coups il n'a pas d'idées derrière la tête en particulier, je ne peux pas m'empêcher de l'envisager. Faire le trajet en mon crâne de toutes ces choses dont je dois me protéger. Ne pas débarquer naïve, et me faire chopper au vol d'un moment d'absence. Je n'ai plus contact avec mes sentiments d'avant, et qui sait s'ils ne vont pas se mettre à me remuer les tripes, réveillés par la flamme d'un regard ardent. La brèche d'une faille un peu trop saillante qui appellerait mon petit cœur sensible...

En attendant, ça sent la pizza.

lundi 1 septembre 2014

Comme un lundi

C'est dingue comme ça affecte directement mon appétit.
Cela fait une heure que je cuisine et maintenant que je raccroche le téléphone, je n'ai plus faim.

- C'est vrai qu'on ne s'est pas recontacté depuis alors ça fait un peu bizarre. Je t'ai appelée, j'ai pas trop réfléchi. J'avais envie de prendre de tes nouvelles. J'espère que ça ne te dérange pas...

Il était en train de se justifier maladroitement sans que je ne lui demande quoi que ce soit. J'ai eu quelques éclats de rire. Je lui ai soumis qu'il avait quatre heures pour me rendre sa rédaction au propre. Quand je lui ai demandé comment lui allait, il m'a répondu "ça va" trois fois d'affilée. Après mes petites taquineries, il a rétorqué qu'il était difficile de répondre autre chose que "ça va" sans développer la question. Je lui ai donc proposé de développer la dite question prochainement, autour d'un verre. Ça a eu l'air de lui plaire. Mais en fait je ne sais pas trop.

Un mois pile.

Ma mère m'avait conseillée, lors d'une précédente rupture :
- Laisse couler. Laisse les hommes faire le chemin dans leur tête et dans leur cœur. Si au bout d'un mois ils reviennent vers toi, c'est qu'ils auront compris que tu leur manquais et quels étaient leurs véritables sentiments.

Un mois pile.
La date limite de péremption.

Marrant. Aujourd'hui, à l'éternel "comment ça va?", j'ai répondu "mieux".
Et je l'ai pensé.

C'est peut-être pour ça.

J'ai quand même l'impression que le destin me chie dessus, comme un vulgaire pigeon me narguerait en prenant son envol. De la merde devant les yeux, me remettre dans le brouillard que je parvenais à peine à dissiper. Alors, bien sûr que tout ce temps, j'étais en convalescence. Bien sûr que tout ça, c'est pour me tester. Pour vérifier la véracité de mon "mieux" au fatidique "comment ça va?".

Mon bel argentin, tu sais quoi?
C'était plus dur que je ne le pensais.
La rupture.
Plus profond, plus coriace, plus acéré dans mes failles qu'anticipé.
J'avais beau avancer que j'y allais à la cool, sans projeter quoi que ce soit d'illusoire entre nous, au final, je me suis accrochée comme une connasse (bonjour à elle). Et ça m'a bien fait mal. Pour ce que ça valait.

Mais c'est toujours comme ça, n'est-ce pas?
Je m'ouvre à quelqu'un, et tu reviens.
Ce doit être dans l'air.
Une vieille odeur de lâcher prise qui te fait revenir à la charge.
Et à chaque fois, c'est le même choix.
Entre celui qui m'émeut, et celui qui me fait vibrer.
Entre celui qui me fait du bien, et celui qui me plait.

Fais chier, t'entends?
On ne peut pas tout avoir à la fois?


Let It Die by Feist on Grooveshark

mardi 19 août 2014

Surréaliste

Je peux l'entendre de ma fenêtre.
Dans mon pâté de maisons, il y a quelqu'un qui sifflote mes chansons.

dimanche 17 août 2014

CQFD

Un petit cri silencieux du haut de ma terrasse, les lueurs orangées.
"Sortez-moi de là".
Le calme plat.

Une oscillation constante, coriace entre vivre l'éclat, chercher la compagnie s'aérer l'esprit par l'excentricité d'un moment magique et un peu fou, et rester chez soi, s'atteler au travail, à la reconstruction, chercher l'utile, l'essence, le soi véritable.
J'étouffe.

De l'intérieur, j'étouffe.

Besoin de m'ouvrir à autre chose que ma pomme. Voir du pays dans les regards. Besoin d'entendre d'autres histoires. Celles des autres, un peu. Pour changer.
Peur de ressasser. La question fatidique du "comment tu vas?". Et devoir raconter encore tous ces mots, tous ces maux qui tournent en boucle en mon crâne ad vitam aeternam pour la énième fois.

Personne ne sait.

Comme si, je croyais pas en la possibilité que quelqu'un puisse me réconforter.
Alors, à la place, je lance des bouées bouteilles à la mer. Des messages anodins.
Please, sortez-moi de là.
Vite, une main, que je l'empoigne. Qu'elle m'amène voir le jour.
Qu'elle m'aide à contempler.
Les étoiles.
Celles que chantent les sirènes.

Mais personne ne sait.
Personne ne sait, alors personne ne vient.

C'est complètement débile.
Alors tant pis.

Demain, je me prendrai par la main.
La gauche dans la droite, entrelacées.
J'irai m'amener voir le jour.
Celui que les anonymes se partagent.
Je m'amènerai en balade. A la terrasse d'un café.
Un lieu où la potentialité de le croiser n'existerait pas.
A part chez moi.
A part, dans un pays étranger.
Comme ça, j'aurais plus à penser que peut-être.
Que peut-être, il reste un espoir.
Je m'amènerai en balade sans le chercher du regard. Sans frémir d'excitation à l'idée de le revoir.
Je prendrai des feuilles blanches.
Tout à écrire.
Dessiner, qui sait.
Mon stylo et moi, on inventera des romances. Le bric-à-brac de ces états d'âmes qui s'accumulent en ma poitrine. A la limite de déborder.
Et je cesserai de regarder mon téléphone.
Attendre qu'il appelle.

C'est étrange. Quand je veux m'aérer l'esprit, je pense à lui. A l'inviter boire un verre. Il avait ce don de rendre la vie légère. Agréable, un peu fougueuse et rebelle aussi. Avec lui, les rêves et les envies, c'était à portée. Presque palpable. Easy, de les réaliser. Parce qu'on était fous, l'un comme l'autre.

Mais pas fous l'un de l'autre.
En vue des circonstances.

samedi 16 août 2014

Et à quand le mot fin

Tu me manques, quand même.
C'est fou. Je sais pas pourquoi tu me manques comme ça.
C'est comme si t'étais là.
Que tu surveillais.
Le fil de mes journées.
Mes gestes. Mes pensées.
Me viennent les images, ton visage, tes mots. C'est dingue, vraiment.
Comme si t'avais toujours de quoi commenter.
Comme si ensemble, on avait déjà tout vécu.
Et que tout, tout me ramenait forcément à toi.
A nos souvenirs.
A tes pas dans ma chambre. Dans ma cuisine. Ma douche. Sur ma terrasse. Tout entier.
T'as repeint les murs de ta présence.
Des taches, des résidus de nous.
Partout.
Dehors, je te vois aussi.
Tu me suis.
Dans chaque piéton. Conducteur, passager.
Les inconnus dans la rue te ressemblent.
Tout te ressemble.
Tout m'évoque toi.
Les chansons.
Elles sonnent comme le générique inaltérable de notre film.
Blanc sur noir.
Tu sais, celui interminable.


Eternally Missed by Muse on Grooveshark

jeudi 14 août 2014

Se laisser submerger

C'est de ma terrasse que l'on voit le mieux les étoiles.
J'aurais dû y penser plus tôt. A vouloir m'exiler loin de la ville, que l'endroit le plus protégé des lumières, le sanctuaire, c'est encore chez moi.
J'écoute Blackout.
Cette musique dont les anges parlent.
Ce murmure qu'ils nous glissent.
Les larmes aux bords des yeux grands ouverts sur la nuit.
J'écoute Blackout et c'est comme un choix à faire.

Revenir sur mes pas, inlassablement.
Comme cette après-midi, lorsque la voiture m'a déposée à ton arrêt. Refaire le chemin en sens inverse, à pied, jusqu'à chez-moi. Celui que j'ai emprunté mille fois.
Au moins dans mes rêves.

Je pourrais ressasser éternellement.

Je me réveillerai un jour, comme ça, perdue dans ma boucle. Ne sachant plus quel jour on est, ni depuis combien de temps j'ai arrêté de vivre le moment présent. Je ne saurai même plus à quoi tu ressembles, quelle place tu avais, et si tu as compté. Si tout ça, ça valait la peine.
La peine que je me donne à rester immobile.

Don't kid yourself
Don't fool yourself
This love's too good to last
And I'm too old to dream


Si je le voulais, je pourrais décider de m'y mettre dès maintenant.
Clôturer les regrets. M'immerger pour de bon dans l'instant, à moi, rien qu'à moi, et faire ce pour quoi je suis ici. Décider de la vivre aujourd'hui, cette vie qui est mienne. J'ai tellement de projets qui m'attendent. De bras qui m'entourent. Alors pourquoi.
Pourquoi, dans le fond, je ne veux pas.

Il n'y a qu'un pas à faire.

Je regarde ma petite table ronde, ces êtres assis là à m'observer, invisibles.
Je ne dois pas pleurer.
Je ne veux rendre triste personne.
Je leur suis trop reconnaissante pour tout ce qu'ils organisent pour moi. Pour les petites attentions, les regains d'ingéniosité afin de me redonner le sourire, pour le soutien, l'amour inconditionnel, la foi qu'ils me portent alors que moi, je suis juste immobile. Alors que moi, je ne fais que ressasser. Dans le noir, je ne veux pas voir. Le chant scintillant les étoiles. Des averses de je t'aime et toute la pluie tombe sur moi. Imperméable. Insubmersible. Alors qu'il faudrait.

Pour une fois, il faudrait.


Blackout (credits reprise) by Muse on Grooveshark

mercredi 13 août 2014

Démesure

Ecrit un 23 juillet 2014 à 00h48 :

Ok, il est probable que je sois en train de tomber amoureuse.
C'est assez effrayant.
Et en même temps, touchant.
Être aux premières loges de ce truc qui nait en moi, c'est incroyable. Vivre les pépites qui crépitent partout à l'intérieur, ces bouts de trésors qui se créent en mes souvenirs et qui aspergent mes parois de lumière, de scintillement, de couleurs. Ça m'émeut. Me fait dire "merci".

Merci pour tout ça.

Alors c'est compliqué, oui. Et il faut du temps.

Mais tout ce que je vois devant moi. Wow.
Je dois avoir la mémoire courte, mais je ne me rappelle pas avoir si souvent admiré quelqu'un de la sorte. Et plus je le découvre, plus je suis fière d'avoir été attirée par lui. Je le trouve sain. Responsable. Respectable. Brillant. Drôle. Subtil. Curieux. Intelligent, bien sûr. D'un charme à tomber. Des manies adorables. En fait, il a ses défauts. Mais des défauts qui me plaisent. Qui me servent. Qui m'aident à avancer. Il a les défauts qu'il me faut. Et les qualités qui m'élèvent. Me donnent envie de m'améliorer.

C'est con hein, mais ça faisait longtemps que je n'avais pas admiré quelqu'un comme ça.
Pas parce qu'il en met plein la vue (même si je trouve que quand même, un peu) mais parce que c'est un mec bien. Et que je ne vois rien pour l'instant qui puisse me rebuter.

L'amour rend aveugle, à ce qu'on dit.

Alors à la place, je sens. Sa sincérité, ses blocages, ses disponibilités. Ça va être compliqué. Mais c'est ce que j'ai demandé au bon Dieu, je crois. Ce travail à faire là. De patience.

De mesure.

mardi 12 août 2014

Conversation à deux visages collés

Extase d'un 22 juillet 2014 à 02h00 du matin :

"C'était mon bonheur de la journée..."
fit-il après que nos regards emplis de malice se soient croisés en montant les escaliers. Je ne compris pas tout de suite pourquoi. Mais je finis simplement par réaliser qu'il n'était pas insensible à mon sourire.

D'ailleurs.

- Il a changé ton sourire, non?
- Bah non, pourquoi?
- Je sais pas. Il me plaisait pas autant que maintenant.
- C'est une des premières choses que tu m'as dite pourtant, au tout début. Que tu trouvais mon sourire sexy!
- Je radote alors?
- Apparemment.
- Non, mais. C'est pas possible. Il était différent. Avec cette bouche, là, on dirait...
- ...
- ...on dirait...une fille de la télé!
- Hahahahaha!
- Une présentatrice, comment elle s'appelle déjà....raah, je regarde jamais la télé....mais c'est une des rares assez jolie...
- Ah bon?
- Et tes yeux, ils ont changé aussi....ils sont plus....
- Plus quoi?
- Hmmm...c'est pas les mêmes, tu vois bien! Ils sont moins...
- ....moins tristes?
- C'est peut-être ça...

Des insignifiances

J'avais dit que je les posterais pour exorciser.
Voici les fœtus de mes remous internes, les fausses couches de mes élans à l'expression.
Maintenant qu'ils sont là, à la vue de tous, leur existence prend vie.
Et fin dans un même temps.
Et ça soulage.


08/07/14
J'ai des milliers de je t'aime qui se perdent en mes oreilles internes.
C'est bizarre de ressentir simultanément ces "je suis tellement bien comme je suis" et ces "il me manque terriblement".

24/07/14
-Il est comment ton copain, Anne?
- Il est beau.

Long silence à la tablée familiale.

- Alléluia!

29/07/14
Tu l'appelais princesse aussi.
Lorsque j'ai vu ce terme défiler dans tes textes de jeunesse, je n'ai pas pu m'empêcher de ronchonner un peu quant à la redondance. Tu m'as dit, c'est rare que j'appelle quelqu'un comme ça.

Effectivement, ça l'était. Tu l'appelais princesse aussi. La seule fille à qui tu penses encore, pour qui il te reste des regrets. Qui sait, tu la confondais peut-être avec moi.

lundi 11 août 2014

Comme un voeu à l'étoile

Une embuscade.

Après m'être enfoncée au fin fond du trou paumé de la ville et avoir monté les deux étages du bâtiment, j'entends l'aspirateur gronder de l'autre côté de la porte. Étrange, vu que l'après-midi jeux tant vantée aurait déjà dû commencer une heure et demi plus tôt. J'entre. Nous sommes bien seuls. Deux sur cinq. Les survivants. Pas d'argentin. Pas d'ami joueur de go. Lâchement abandonnés à notre sort. Pour couronner le tout, c'est eux qui devaient amener la plupart du matériel. Nos amis communs étant ceux qui ne sont pas venus nous nous retrouvons donc à deux inconnus, avec trois pauvres jeux, et tout le temps pour apprendre à se rencontrer.

Un mariage arrangé?

Come on. Qu'est-ce que c'est que ce bazar. Au fond de moi, je suis en colère. A l'extérieur, ça me fait rire, ces situations burlesques. Mais quand même. Je suis sûre que son excuse pour ne pas être là, elle était bidon. Et forcément, je ramène tout à moi. Je pense qu'il n'était pas au courant, qu'il n'avait pas envie de me voir, me donner de faux espoir, ou même qu'il était en meilleure compagnie ailleurs. Ailleurs.

Petits pincements au cœur.

Pas si grave, il y avait du pain d'épices maison pour me consoler. Et croyez-le ou non, cette après-midi jeux s'est transformée en condensé de souhaits formulés à la Terre et exaucés dans l'instant présent. Après des parties endiablées de Carcassonne, vers les vingt heures, sa couchsurfeuse italienne est arrivée. Nous avons commandé une pizza et pris la route direction la mer. Tout au bout des roches blanches, guidés par une lune pratiquement pleine, observer les perséides. Peine perdue, l'astre nocturne rayonnait trop puissamment. Dans ce ciel encore éclairé, une étoile filante, seulement. Elle fait écho à la première de la saison qui s'est révélée à moi, cette soirée là. Quand je lui avais avoué que je ne m'étais jamais allongée sur ma terrasse de la sorte, il m'avait demandé s'il y avait d'autres choses que j'aurais eu envie de faire, comme ça. Je lui avais répondu, monter sur mon toit. On s'était promis. Comme un vœu à l'étoile. Qu'un jour, on irait les regarder ensemble du haut de la ville.

Pas d'étoiles filantes cette nuit, mais un bout d'arc-en-ciel lunaire.
Ce n'était peut-être qu'un halo assez lointain et large pour faire illusion.
Mais on a encore le droit de croire en la possibilité que l'on préfère.

Finalement, je me suis laissé embarquer par le maître de maison et son invitée italienne, pour une randonnée au pied levé jusque dans les cimes. On m'a prêté des chaussures de marche, et même si elles n'étaient pas vraiment à ma taille, c'était la première fois. Que j'allais dans les bois, les collines, les rochers avec des chaussures adaptées. Renaissance. Extase de pouvoir avancer légère, en confiance avec un appui réel, une prise dans le sol. Soudain, j'avais des ailes, je gambadais devant. C'était si facile! Moi qui aimais tant marcher, mais qui n'étais jamais à l'aise dans les conditions requises. Je l'étais. Cette fois-ci, je l'étais. J'avais bien moins peur des descentes. J'escaladais avec plaisir, sans craindre la semelle glissante. C'est là que je me rends compte que ce n'était pas une question de compétence chez moi, mais d'outil. Et les barrières, elles n'étaient que matérielles. Perchée sur la roche, au sommet, et le vent transperçant ma peau humide, j'avais cette vue à 360 degrés sur l'horizon. La mer en face, et toutes ces petites îles mystérieuses qui se forment. Je repensais inévitablement à l'argentin et moi face à la mer, à moitié nus sur les rochers, lui s'exclamant en pointant du doigt un lointain carré "je veux grimper sur ce chateau, là" "la dernière fois je suis allé le visiter mais il n'était pas accessible, il faut l'escalader. Viens Anne, allons passer la nuit là-bas, allons escalader le château fort!". Il me demandait souvent si j'aimais escalader. Si je voulais bien monter avec lui. Je croyais pourtant que c'était pas mon truc, tout ça.

C'est con. On parlait de tout un tas de projets. Mon petit potager et la permaculture. Quand je suis rentrée chez moi aujourd'hui, les jardinières et clôtures en bois venaient d'être livrées. C'était une après-midi jeux mais c'est qu'on avait un jeu rien qu'à nous à inventer et construire ensemble. On venait à peine de commencer. Et l'Italie, je ne fais que croiser des italiennes et des lieux de séjours qui s'ouvrent à moi mais, je voulais partir avec lui.

Je voulais partir avec lui.

Mes vœux s'exaucent peu à peu.
Reste le facteur manquant.
Celui qui fait qu'on s'en réjouit qu'à moitié.
Mes vœux s'exaucent mais ne se partagent jamais vraiment.

Des vœux à partager...
Est-ce que c'est pour moi?

Ne devrais-je pas me réjouir de ce que j'ai déjà?


Blackbird by Brad Mehldau on Grooveshark

vendredi 8 août 2014

Renaître encore

Ciel bleu sur ma terrasse.
Douce chaleur, mes fleurs ont éclos et grandi en mon absence.

Je viens de recevoir un appel d'un numéro inconnu. Un ami de l'argentin qui m'invite à une de leurs après-midi jeux demain. On sera cinq. Il sera là. Comme ce dernier ne leur a pas dit qu'on était ensemble (bien que la dernière fois, ils l'aient sûrement deviné), il ne leur a certainement pas dit non plus qu'on s'était séparés.

Ce n'est pas grave.
Ça me fera plaisir de le revoir en petit comité, comme ça.

J'essaie de ne pas penser à l'éventualité qu'il soit l'instigateur de cette invitation.
Tout à l'heure, dans une fin de journée ensoleillée, mes pas me dirigeaient vers ses endroits, le chercher du regard. Croiser des vélos et imaginer, une seconde, qu'il serait là. Que nos routes se croiseraient une nouvelle fois.

Je me suis sermonnée.
"Anne, tu n'as besoin de personne pour te sentir vivre. Tu n'as pas besoin de croiser qui que ce soit pour donner à ce jour un sens."
Cette nécessité d'agir en fonction de me déraisonne.

Alors j'ai avancé.
Les yeux droit devant.

Peut-être que le but aujourd'hui, c'est d'agir pour soi-même.
Je pensais avoir passé cette étape il y a fort longtemps.
Mais j'ai probablement oublié comment on faisait, depuis le temps.

Dans cette forêt, je ne l'ai pas évoqué de la semaine.
Quelques minutes seulement sur le trajet retour.
Je savais bien que de retour chez moi, ses affaires encore à la maison, je n'y échapperais pas.

Mais ça va.
Je n'ai pas envie de me laisser aller à la déprime.

Alors à la place, je récure. Je range, je frotte. Je mets de l'ordre dans ma vie et dans mes pensées.
Dans ma boite aux lettres, des petits cadeaux de l'existence.
Dans ma boite mail, l'éditeur qui écrit que le rendu sonore et visuel est au delà de toutes ses espérances. Des sourires.
J'en ai abandonné quelques-unes moi, des espérances.
Pour la bonne cause.

J'ai tous ces articles qui parlent de lui, commencés et jamais finis.
Je pensais avoir tout le temps de les écrire. Parce que cette histoire, malgré les contextes, elle était faite pour durer. Pour moi. Seulement pour moi.
Je vais les poster en vrac.
Comme ça j'aurai également fait le ménage en ma mémoire.
Mes brouillons ne seront plus hantés par son fantôme et je pourrai tirer un trait sur les aléas.
Renaître.
Et renaître.
Et renaître encore.

vendredi 1 août 2014

J'suis toute nue sous mon pull, etc.

Dernière ligne droite avant le départ.
Une semaine dans la forêt, où il m'est donné de faire un travail spirituel dans le service aux autres.
Dernière ligne droite sur ma terrasse alors que la nuit tombe doucement.
Je me sens confiante.

J'ai du mal à penser que tout ça soit un hasard, que mon histoire se termine juste avant ce départ là.
Et comme ce voyage, prévu des mois à l'avance, ne peut être qu'une initiative positive, je conclus que ce qui le précède et ce qui en découle également. Si tout ça, ce n'est que du positif... Je n'ai plus qu'à me réjouir!

Depuis quelques temps, je cicatrice vite.

Je vois les choses autrement, aussi.
Elles ne sont plus autant ces coups de poignard assénés dans le ventre, alors que mes bras étaient grands ouverts, prêts à accueillir.
Je comprends l'amour à travers les épreuves.
La bienveillance de la vie qui, de concert avec mon moi profond, souhaite m'aider à grandir.

Et quand c'est un peu difficile, je m'arrête.
Un instant, je bois un thé, m'accorde une douceur.

Sous ma petite robe, pour aller à la boulangerie, j'étais toute nue.
J'étais toute nue face à l'autre, et je n'avais pas peur.
Sans filet.
Sans protection.

Sans menace ni danger.

C'est peut-être ça au fond.
Pourquoi avoir si peur de se découvrir?

Dans tous les sens du terme, bien évidemment.

Je voulais aussi remercier les personnes qui passaient par là.
Vous avez des mots qui ressemblent à de l'amitié.
On ne se connait pas. Le réconfort, la bienveillance gratuite, comme ça, je ne sais pas ce que ça vaut.
Mais je le sens.

Ce sont mes petits trésors à moi.

Une vie de merde oui, mais une belle vie de merde

J'aurais dû comprendre ce qui m'attendait lorsque dans les escalators ce papi s'est tourné vers moi, me lancer avec un visage lumineux :

- La vie est belle!

J'aurais dû le comprendre, avec toutes ces personnes dans la rue et leurs phrases positives et encourageantes sur mon sourire, ma beauté, ma façon d'être, comme ça, déposées en offrande à mes chevilles enflées.

J'aurais dû comprendre que ça allait être une journée de merde.

Mais j'ai rien vu venir.

Entre tous ces aller-retour pour rien, ces objets à rendre qui compriment les doigts, les chaussures bousillées par les rayons du vélo, le sac défoncé par le cambouis de la roue arrière, le résultat du dépistage pas entièrement clean et mes règles proches anéantissant ma capacité à encaisser les aléas, je pensais pas qu'il choisirait ce moment là. A l'ombre d'un parc, après avoir posé ses doigts d'une bienveillance sans borne le long de mon échine rouillée, pour me quitter. Pour m'annoncer que ça fonctionnait pas. Vous savez, les termes du contrat. Qu'ils n'avaient pas changé de son côté. Qu'il avait toujours autant besoin de légèreté, d'une relation qui coule. Et qu'avec moi, c'était rugueux. Ça frottait. Qu'il ne voulait pas ça. Pas aujourd'hui, ni dans ces conditions là. Qu'il ne voulait pas se forcer.

Il m'a posé tout ça comme un doute, une question m'étant adressée. Qu'est-ce qu'on fait, Anne?
- Fais ce que tu penses être bon pour toi.
Évidemment.

C'est vrai qu'il se forçait de temps en temps.
Pourquoi faisait-il ça?
Il disait souvent qu'il y avait un décalage entre lui et moi. Dans les attentes, la manière d'envisager une relation, c'est sûr. Dans la façon d'aimer. Qu'il lui fallait en moyenne un an et demi pour tomber amoureux. On en riait. On s'en moquait, parfois. Mais il disait aussi qu'il n'avait jamais ressenti autant d'intensité avec quelqu'un. Ce genre d'alchimie là. Il disait qu'il commençait à y avoir une fissure dans le grand mur qu'il s'était forgé. Que si je regardais au travers, je serais sans doute satisfaite de ce qui se tramait derrière. Il disait que ça ne le dérangeait plus tant que ça, si on devait tomber amoureux. Il disait que bien qu'il ait peur de ne pas avoir fini son deuil, qu'il craigne ce que cela implique, il avait envie de partir en voyage avec moi. Qu'il avait envie de me découvrir. Que je l'intéressais. Que je le fascinais. Que je l'attirais. Que je lui faisais peur.

J'ai un peu pleuré dans ses bras.
Environ un dixième de mes larmes retenues.
Puis, doucement, nous sommes rentrés côte à côte. Un vélo entre nous.
On a fait quelques blagues sur le trajet.
Et quand on parlait pas, je me mordais les lèvres.

On s'est dit au revoir à un carrefour.
Il m'a dit "prends soin de toi".
J'ai eu envie de marcher, au lieu de prendre le métro.
Au bout d'un moment, je me suis rendu compte qu'on avait pris la même route, et que je le voyais s'éloigner dans la circulation, petit à petit.
Je me suis arrêtée à un escalier, y faire dévaler mes lourds sanglots.
Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi c'était si lourd.

Parce que j'y ai cru?
Parce que je ne m'y attendais pas?
Que je croyais avoir encore le temps de faire émerger ce qui était important à l'histoire?
Que je le trouvais parfait pour mes déboires? Qu'on avait les mêmes valeurs, mêmes manières d'aborder la vie? Qu'il me plaisait? Qu'il me faisait plus rire que n'importe qui?

La veille, je lui avais confié "je crois que j'ai peur que tu me laisses".

Et puis, on s'était vus quatre jours d'affilées. Un record pour lui.
Il avait été là quand je n'allais pas bien. En fait, il me guettait. Il n'était pas endormi quand il m'a serrée fort pour sécher mes larmes, l'autre nuit.
C'était trop, sûrement.

En mon esprit, une voix s'est mise à parler.

D'où elle vient, cette peine?
T'appartient-elle réellement?
Appartient-elle au contexte?
Est-ce qu'elle existe, au moins?

Je me rappelle dans le parc, entre deux larmes essuyées sur son bras, il m'avait sorti assez naïvement :
- C'est si grave que ça?

Non, c'est pas si grave.
D'ailleurs en fait, c'est pas grave.
Ça peut faire mal quand on décide de rouvrir des blessures. D'assimiler une situation à ce qui nous arrive régulièrement et faire des conclusions dramatiques sur la fatalité du destin. De croire qu'on n'arrivera jamais à passer le cap d'un truc bien et que c'est pas pour nous, le bonheur.

Mais Anne, c'était pas ce que t'avais demandé?

Dans une de tes prières d'il y a quelques jours, t'avais pas remercié de vivre ces émotions de crainte de l'abandon, du rejet, de la solitude que tu découvrais émerger en toi et que tu souhaitais ardemment travailler, mettre à rude épreuve? T'avais pas demandé la permission et les occasions de progresser dans ce travail là?
Ce n'est pas exactement ce qu'il se passe?
Ce n'est pas ici, l'occasion?

Ce n'est pas ce que tu as voulu, au plus profond?
Pas qu'on te quitte, non. Mais que tu puisses te libérer de ces émotions là qui t'entravent.
Ok. D'où elles viennent? Pourquoi sont-elles là?
Sont-elles nécessaires à quoi que ce soit? Sont-elles justifiées?
D'ailleurs, as-tu encore besoin ou envie de pleurer sur ton sort?

Non.

D'accord.

Une chiure de pigeon tombe pile à mes pieds.
Je crois que le moment est choisi de se relever.

Une fois rentrée, je ferai un grand ménage. Donner de la place à mon esprit, pour respirer. J'appellerai mon ami joueur de tablas, et on ira chanter des bols face à la mer pendant des heures. Chez moi, je lui lirai des Calvin & Hobbes à haute voix, et on se marrera comme des enfants en mangeant des graines. Il kiffera grave ma cuisine et ça me fera chaud au cœur. Finalement, je me coucherai assez apaisée et le matin, j'ouvrirai les yeux émerveillée par mes rêves de feux d'artifice.

Oui, j'aurais dû comprendre ce qui m'attendait.

J'aurais dû comprendre ce qui m'attendait lorsque dans les escalators ce papi s'est tourné vers moi, me lancer avec un visage lumineux :

- La vie est belle!

mercredi 30 juillet 2014

Les termes du contrat

J'écrivais ce commentaire sur les termes du contrat et c'étaient autant de baffes qui me claquaient à la gueule à chaque ligne supplémentaire. Qu'ai-je laissé en cours de route pour me sentir si paumée? Ma lucidité, peut-être. Et pourquoi j'attends, maintenant? Pourquoi j'attends qu'on vienne me chercher? Il n'y a que moi qui modifie les routes. Sur ce sentier qui n'est que mon propre chemin intérieur, au carrefour de mes doutes. Et la souffrance? Elle est là parce que j'attends. Sans savoir pourquoi. J'attends que l'autre vienne me chercher. J'attends qu'il soit mon guide alors que le guide, c'est moi. Alors que c'est moi qui me donne. C'est moi qui reçois. C'est moi qui décide ou non d'avancer.

Hier soir, j'ai pleuré sous les draps. J'ai pleuré sur ma sale journée. J'ai pleuré sur ma solitude. J'ai pleuré parce que les règles étaient proches et qu'à des moments comme ceux là, je suis moins capable de prendre sur moi. J'ai pleuré parce que je voulais qu'il me réconforte, qu'il soit là pour moi. Et il était venu, malgré son travail qui le faisait finir au milieu de la nuit, sa fatigue et tout le retard qu'il avait pris à cause de nos dernières entrevues. Malgré le fait qu'il flippait lorsqu'on se voyait plusieurs jours d'affilée. Il était venu, et lorsque j'ai commencé à lui confier mes petits tracas, il s'est assoupi peu à peu. Épuisé. Je l'ai bordé doucement. J'ai attrapé un livre de chevet. La tête blottie entre deux pages, je me suis mise à pleurer. 

J'ai pas pris le bon livre, sûrement.

Ces larmes là, probablement un résidu de tout un tas de sentiments que je n'ai plus envie de revivre. Je ne pleure pratiquement jamais quand je suis seule. Je pleure quand je suis seule avec quelqu'un. Mes premières pensées ont été "tu te portes quand même vachement mieux quand personne ne t'atteint". Quand on te met pas au pied du mur, c'est tellement plus facile.
Mais j'ai choisi. C'est moi qui ai eu envie de travailler à devenir quelqu'un de plus complet. Autonome. Et l'autonomie, affective notamment, ne peut pas réellement exister lorsqu'il n'y a pas de confrontation avec l'autre. Lorsque, en aimant, on reste entier, ensemble et dissociés. Engagés et Indépendants. Ah ça oui. En ce moment, je travaille.

Mais j'aime ça.

Dans le lit recroquevillée, et quelques sanglots inaudibles, j'ai senti sa chaleur dans mon dos. Ses bras m'envelopper, me serrer très fort. Sa tête, enfoncée dans ma nuque. C'était, un cocon de lui tout autour de moi. Qui très fort retient mes larmes. En silence, par petits à-coups, il a serré jusqu'à ce que je me calme. Je me suis retournée vers lui.
J'ai souri.

Il était endormi.

Balèze, quand même. Faire les gestes qu'il faut en pleine inconscience.
Mais peut-être n'a-t-il pas osé montrer qu'il était réveillé...

J'en ai rêvé la nuit. Qu'il était là pour moi, moi et mes inconstances. Malgré tout. Qu'il gérait les aléas, même s'il avait l'impression de ne jamais donner assez par rapport à ce qu'il recevait de moi. On a discuté longuement, de ses retenues, de ses craintes, de pourquoi il se mettait tant de contraintes et de quoi il avait peur.
- J'ai peur d'être papa.
Qu'il a avoué.

Je me suis réveillée.

lundi 28 juillet 2014

Je sais

Je sais qu'il faut prendre le temps.
Pour magnifier les secondes, les ensemencer dans une histoire un tant soit peu fertile et constructive.
Pour se permettre de naître, dans la confiance, dans la preuve par l'expérience, la ligne d'évidence qui malgré les oscillations, les hauts et les bas, avance toujours, quoi qu'on en dise.

Je sais qu'il faut s'armer de patience.
Laisser à ton être la possibilité de se retrouver en premier, afin qu'il puisse se donner en son entier sans perdre un bout de son squelette dans les doutes et l'inconscience.

J'ai sais qu'il faut te laisser libre.
Dans ton individualité, dans tes choix et tes devoirs, ne pas interférer à outrance avec le cours de tes choses. Pour te permettre d'évoluer avec zèle, sans contrainte, sans barrière de l'être, celui qui te donne la main en même temps qu'il te la vole.

Je sais que tu as ton chemin à faire. Tes montagnes à grimper. Tes obstacles à franchir.
Je sais que tu as tes fantômes à te débarrasser. Faire une croix sur ce qui est derrière, doucement. Le temps d'un deuil, le temps d'accueillir ce qui est devant toi.
Je sais tout ça.

Ça ne m'empêche pas d'avoir mal quand même.

jeudi 24 juillet 2014

Tudo Bem 2/2

On se confie nos petits secrets. Il me dit "la semaine dernière, tu m'as ensorcelée". Il me dit "j'ai eu subitement envie d'être à côté de toi toute la soirée". "Refuser une partie de ****** avec tous mes copains pour jouer aux pingouins avec toi et ton pote, fallait vraiment que tu m'aies fait un truc". "A la fin, je voulais que tout le monde s'en aille. Qu'ils se barrent tous et qu'on reste juste toi et moi".

Moi aussi, j'avais envie.
Mais j'étais avec le jongleur saltimbanque que j'hébergeais pour la nuit. D'ailleurs, sur le retour, j'avais pas arrêté de le saouler avec mon argentin à lui répéter "il me plait", "qu'est-ce qu'il me plait"...

- Je te préviens Anne, le deuxième soir est celui des mises en garde.
- Soit. Je t'en prie.
- Hmmm, alors voilà. Actuellement, je n'ai rien à donner. Et je ne sais pas quand et si je serai prêt à le faire un jour. Je viens tout juste de me séparer de quelqu'un avec qui j'ai vécu quatre ans et demie et je n'ai pas encore fini mon deuil. Je ne sais même pas si nous ne sommes définitivement plus ensemble. De plus, je commence à retrouver mon individualité, à trouver du temps pour moi, mes amis, mes loisirs, faire des projets et je ne veux pas lâcher ce que je touche à peine du doigt. J'ai envie de rester libre.
- Ok. A moi maintenant. Je ne suis pas pressée. Au contraire, j'ai très envie de prendre le temps. En fait, en ce moment je suis dans une démarche un peu particulière avec mon corps. Pour certaines raisons, je suis une abstinence de neuf mois. Ce qui veut dire que, physiquement, il va falloir rester tranquille...
- Oh, d'accord. Neuf mois, vraiment?
- Oui.
- C'est long, quand même.
- Oui.
- Et Anne, moi j'ai des besoins.
- Oui, je sais.
-  ...
-  ...

- Mais attends, neuf mois depuis quand?

- Depuis janvier.
- Janvier? plus neuf mois ça fait jusqu'à septembre ça. Ça veut dire qu'il reste...
- Un peu moins de trois mois.
- Aaaaaah...mais ça vaaaaa alors!
- Ah bon, vraiment?
- Oui, trois mois ça va. Enfin, ça devrait pouvoir le faire.

Soulagée.

Sur le lit, on se marre. Allongés côte à côte, on continue de discuter. Il me lance :

- Mais comment on fait, alors?
- Comment ça?
- Bah hier, par exemple, quand tu marchais devant moi, je voyais la courbe de tes reins se dessiner et j'avais bien envie d'y poser mes mains. De te masser le dos, aussi. Mais je me suis dit, après je vais te masser, je vais avoir envie d'aller plus loin, de te faire plein de trucs, ça va déraper et je sais pas si c'est bien, alors j'ai rien fait.
- Ah...
- Comment on fait, alors?
- ...
- Par exemple, là, depuis tout à l'heure, j'ai très envie de te serrer dans mes bras. Comment on fait? s'impatiente l'argentin, la lueur pleine de malice, se tournicotant comme un enfant dans tous les sens sur le matelas.
- Essaie, tu verras bien...



Il posa tout son poids dans son étreinte.

C'était.
Surprenant.

Peut-être que j'avais perdu l'habitude. Peut-être que mes anciens compagnons étaient délicats, faisaient attention. Lui, il n'était pas comme ça. Il se donnait entier, même s'il n'avait rien à donner.
Il était là, et pas là.
Il reproduisait les gestes. Mécaniques, comme s'il les avait déjà enclenchés un millier de fois.
J'ai pensé : effectivement, il n'a pas fait son deuil.

Je l'ai laissé faire.
Puis, lorsqu'il s'est détaché pour tenter de partir, je l'ai agrippé.
Afin qu'il puisse entrevoir ce qui, pour moi, correspondait à l'intensité d'une étreinte.

Ses cinq minutes se sont transformées en trois heures.

Je lui avais pourtant bien proposé de rester. Mais comme il avait découché la veille, il ne voulait pas mettre la puce à l'oreille à l'ami (commun avec son ex) chez qui il était provisoirement hébergé, le temps qu'il se trouve un nouvel appartement à lui.

Sur le palier de la porte, il a fait quelques pas. Puis il s'est retourné. Nous nous sommes regardés, un peu penauds, un peu interloqués :
- Ça va être compliqué...
Qu'il laissa échapper en revenant sur ses pas, juste avant de m'embrasser.

Dans tous les sens du terme.

J'ai senti nos bouches se reconnaître. Et plus elles apprenaient à se parler des langues inaudibles, plus ses bras se fondaient avec force en mes côtes. Mes pieds ne touchèrent plus terre.

Dans tous les sens du terme.

mercredi 23 juillet 2014

Tudo bem 1/2

A la suite de ceci, et de tout le reste.

Je n'ai pas pu m'empêcher de m'emparer du téléphone. De toute manière, je n'arrivais pas à fermer l’œil, bien qu'il soit parti. Le choc de la rencontre, sûrement.

J'envoyais un message à mon ami joueur de go : "purée, je me suis fait avoir comme une bleue..." parce que. Un bail qu'on ne m'avait pas retourné le cœur de la sorte. Avec si peu de moyens. Son nez sous mes aisselles, ses lèvres sur mes mains. Je demandais au joueur de go s'il n'avait pas le numéro de l'argentin. Puis, me ravisais au moment de l'obtenir.

Après tout, c'était peut-être sa volonté.
Ne pas s'échanger nos coordonnées, probablement intentionnel.
Et je fais quoi alors? Je défonce les barrières d'intimité et viole sa vie privée pour répondre à mes envies égoïstes de le revoir?

Tant pis. Je ne souhaitais brusquer personne et laisser venir. Mais les sensations de nos frôlements s'entassant à une vitesse folle, je décidais de vider mon esprit en dédiant ma journée aux autres.

Le soir même, un texto du joueur de go :
"L'argentin vient de me demander ton numéro. Je le lui donne?"

C'était Brésil - Croatie, le match d'ouverture.
Fébrilement, je regardais les minutes défiler sur mon ordinateur.
Ayant finalement récupéré ses dix chiffres quand j'ai su qu'il réclamait les miens, je lui écris dans les cinq minutes suivant le sifflet de la fin du match :
"Et si, après la victoire du Brésil t'avais envie, je sais pas moi, de ne pas rester face à la défaite du sommeil de ce matin, sache que tu peux toujours revenir tenter la revanche..."

Nos messages se seraient croisés, si le joueur de go ne s'était pas trompé d'un chiffre en lui transférant mon contact.
Ça aurait été marrant pour le coup, que j'attende qu'il m'écrive.
Mais ma patience frôlait le niveau zéro.

-"Je veux bien passer te faire un petit coucou, mais je ne reste pas dormir. Tu prends?"
-"Et t'arrives encore à tenir debout?"
-"Oui, mais ça ne répond pas à ma question!"
-"Ca va me frustrer que tu repartes vite..."
-"Tu le seras encore plus si je ne viens pas. J'arrive dans cinq minutes."

On sonne en bas de chez moi. Je suis aux toilettes et je n'ai pas de pantalon.
S'est-il téléporté?

- A vélo, ça va vite.

Je n'ai pas de canapé. On se cale sur le lit pour discuter.
- Le deuxième soir....
Il réfléchit.
- Le deuxième soir, je pose ma tête là, lance-t-il en pointant mon nombril. Puis je fais ça aussi.

Et il prend mes mains pour les observer, les modeler. Ludique. On parle de ce matin, de notre non échange de coordonnées respectif. Il m'avoue :
- Quand j'ai claqué la porte de chez toi, je me suis dit "bon, on va se calmer là". Partager le lit de quelqu'un comme ça, dès le premier soir, c'était pas dans mon programme. Puis, t'es restée quand même un peu dans ma tête la journée et puis le soir, comme tu y étais encore, j'ai eu envie de demander ton numéro...

[à suivre...]



samedi 19 juillet 2014

Te sentir à distance

"Écris, fais-toi du bien. Fais ce qui est bon pour toi. Tu n'es pas tout seul. Mais tu es le seul à pouvoir le faire.
Je t'embrasse, je suis dans les montagnes. De temps en temps, je prendrai une pause dans la journée. Pour t'aimer."

jeudi 17 juillet 2014

J'préférais quand t'existais pas

- Tu as un regard triste.
- Oh.
- Qu'est-ce qu'il se passe?
- Hmm. Je ne sais pas si je dois te le dire.
- Pourquoi?
- C'est parce que...
- ...
- ...j'ai ce genre de regard lorsque je suis en train de tomber amoureuse.
- ...
- Une sorte de mélancolie. Je ne sais pas. Comme si j'étais triste par anticipation... de ce que j'allais un jour perdre. Ça se passe dans l'inconscient, sûrement...
- Tu as toujours eu ce genre de regard.
- ...
- Bon d'accord. Je crois que j'ai un nouveau but dans la vie, maintenant.
- ...
- Donner à tes yeux le sourire.


J'préférais quand t'existais pas by Presque Oui on Grooveshark

mercredi 2 juillet 2014

A toi que les rêves inspirent

Je passerai l'amourette de préambule, liée à ma vie du quotidien. Avec les protagonistes de "Secret Story", le nom est déjà tellement parlant. Se faire surprendre autour de la table de la cuisine, en chaussettes, puis discussion franche avec l'intéressée qui me confirmera qu'effectivement, ce n'était que lui qui craignait une hypothétique souffrance, et qu'elle, pour sa part, avait déjà tourné sa page.

Dans la suite du songe, qui est toujours un petit clin d’œil à ma journée, je cherche un endroit posé où faire atterrir mes heures de déambulation citadine. Quelqu'un me conseille cette grande bibliothèque nouvellement ouverte, qui possède en son rez-de-chaussée un superbe bistrot/salon de thé bio d'une déco d'un bois naturel somptueux lui aussi (décidément). Je marche un certain temps pour m'y rendre, puis attends devant l'entrée. En réalité, je crois que j'avais un rendez-vous important.

L'homme débarque, d'un pas assez franc, voire pressé. C'est une personnalité qui évoque le respect lorsqu'il me serre la main pour se présenter. Il est chercheur. En temps et en espace.
Un savant fou? Peut-être.
Des recherches dans le temps et l'espace, ça me fait penser à quelque chose....Steins Gate, les voyages dans le temps. C'est de cette trempe? Il me répond :

- Non, pas vraiment. Mais le sujet vous intéresse?

J’acquiesce. J'ai toujours eu une certaine fascination pour ce genre de concepts métaphysiques.
Continuant sa trajectoire d'une allure vive, son esprit déjà occupé à un millier d'idées qui se chevauchent, il me fait signe de le suivre. M'entraine dans la bibliothèque. Nous montons les étages. Au dessus, des espèces de blocs. Des locaux hospitaliers? Des bureaux administratifs? Je ne sais plus trop.

Le professeur s'arrête devant une porte avec un petit hublot rectangulaire. Regarde au travers. Dans la pièce fermée, deux personnes, qu'il fixe discrètement, pendant quelques secondes pendant que je l'observe procéder en silence. Puis il décide d'ouvrir la porte. D'un élan précis et rapide, pointe de son index et son majeur joints en l'air le bras tendu, la silhouette des deux personnes l'une après l'autre, puis fait ce geste simple avec les doigts, comme une gomme, de les effacer.

Les deux êtres se dissolvent par magie de notre champ de vision. Impassible, le chercheur entre dans leur bureau qu'il fait automatiquement sien. En fait, ce bureau était déjà sien. Et pendant qu'il retrouve ses repères dans son antre, il m'explique.

Ces deux personnes n'ont pas disparues de la surface de la Terre de manière absolue. Il les a simplement effacé de son regard. En les effaçant de son regard, il s'est lui-même effacé de leur regard. Cela veut dire que ces deux personnes et lui peuvent évoluer dans le même bureau sans jamais interférer, puisqu'ils coexistent sur des plans différents, bien que simultanés. Pour un regard extérieur (sauf moi, apparemment, qui vit la scène en même temps qu'eux), il y aurait trois personnes dans la pièce. Pour les deux personnes, elles seraient deux. Et lui se perçoit seul.

Unique témoin de cette scène surnaturelle, je reste scotchée.
Je deviendrai son disciple. Il sera mon directeur de thèse.
Il y aura peut-être entre nous une relation d'amour assez profonde et inconventionnelle. Mais les souvenirs sont flous, et ce n'est ici pas ce qui compte véritablement.

Je passerai de nombreuses journées à apprendre les techniques. Dans les rêves, elles sont pour la plupart fondées sur le ressenti. Je m'entraine. Deux points à maîtriser : d'abord, mémoriser l'être, en son entier. Cela, en une seconde à peu près. Ensuite, l'effacer. De sa réalité. De sa mémoire, presque. Tendre les doigts en même temps. Faire le geste de la gomme. Ça fonctionne. C'est incroyable, ça fonctionne!

Dès lors, une immense liberté s'offre à moi. Je peux entrer par toutes les portes, tous les accès, au gré de mes envies. Sans aucune contrainte, je peux me rendre dans tous les endroits. Le monde entier s'ouvre à moi! Dans cette grande bibliothèque, une rumeur commence à circuler. On aurait volé les clés du bloc 8. C'est nous. Notre bureau. Oui, nous avons bel et bien dérobé les clés de l'infini!

Une deuxième étudiante vient se greffer au projet. Elle est jeune, blonde la coupe au carré, un peu naïve et insouciante. Complètement subjuguée. C'est moi qui suis en charge de sa formation. Pas après pas, je lui montre les ficelles du métier. Je l'entraine avec moi à l'extérieur du complexe, pour un exercice en plein air. Il y a de larges pelouses bien vertes où des écoles sortent se détendre et faire des activités tout autour du lac, car il y a un vaste lac aussi, prospère, que quelques canoés traversent paisiblement.

Bien que je sois la seule à faire les gestes, les gens disparaissent sous les yeux de l'étudiante spectatrice.
Peut-être qu'en prenant le même point de regard que moi, elle s'inclut automatiquement dans ma réalité, et donc sur le même plan que moi?

Je commence à la laisser faire ses premiers pas seule. Nous nous baladons ensemble et à tour de rôle, comme un exercice imposé, nous nous dissimulons des réalités d'autrui. Je l'encourage dans ses efforts. Mais un manque d'attention lorsque vient son tour vient contrebalancer la donne lorsque nous rouvrons la porte du complexe. L'étudiante ne s'étant pas suffisamment protégée de l'être à effacer, les regards se croisent. L'être surprend l'étudiante en train de faire son geste de la gomme, avant de disparaitre. Ce qui veut dire que par réciprocité, l'être nous a vu nous extraire de son champ de vision, devant lui, il a pu observer ce phénomène jusque là tenu secret. L'étudiante panique, commet l'erreur deux fois de suite.

L'affolement s'empare de la bibliothèque. On commence à dire qu'on a aperçu les voleurs de la clé du bloc 8, et qu'ils sont en cavale. Des groupes se mettent assidument à notre recherche.

Poursuivies, nous nous enfuyons par le lac. L'adrénaline monte, nous n'avons ni le temps ni la compétence de devenir invisibles pour des classes entières d'écoliers. Néanmoins, la course est enivrante, presque jouissive de challenge. Nous touchons enfin les frontières du complexe. D'immenses grillages argentés d'une maille très fine nous barrent la route. Ils sont hauts de plusieurs dizaines de mètres. N'ayant plus rien à perdre, nous décidons de les escalader. J'appelle mon professeur directeur de thèse sur mon portable, lui explique la situation d'urgence, pendant que mes pieds et mes mains tentent maladroitement de trouver des prises pour grimper. Le chercheur me rassure, nous n'avons plus qu'à sortir du complexe. Pour le reste, il s'occupera de venir nous chercher. Le temps presse, nos poursuivants ne sont pas loin. J'ai encore le téléphone à l'oreille lorsque nous atteignons le sommet des barrières. Si nous tombons maintenant, la chute aurait de bonnes chances d'être mortelle. L'étudiante, plus agile et confiante de moi (insouciante aussi), enjambe le sommet, pour se retrouver de l'autre côté du grillage, et le redescendre doucement. Moi, j'hésite. Je crois que c'est ce qu'il y a de plus difficile pour moi. Me retrouver de l'autre côté des limites, des frontières. Je lâche le téléphone, je crois que je n'ai plus le choix.


Je me réveille.

Hacking to the Gate " by いとうかなこ on Grooveshark