vendredi 3 décembre 2021

Jamais deux sans trois

Je l'avais anticipé pourtant. J'avais vu de loin l'embuscade arriver.
Je m'y étais préparée. Je l'avais envisagée. J'avais préparé les différentes phrases à dire selon les contextes, les réactions et les réponses. J'avais demandé conseil à mes amis : "Est-ce que je suis maso ?", "Est-ce que je déconne ?", "Est-ce que je me fais des films ?". Je n'avais pas laissé le moindre hasard s'immiscer dans le soupçon d'un coin sombre, j'avais balayé toutes les éventualités potentielles pour ne pas me faire surprendre par un aléa de la vie, quel qu'il soit et j'arrive quand même, après cette mise en condition digne du meilleur athlète des jeux olympiques catégorie "relations sentimentales", à avoir ce sourire béat du nouveau venu dans la discipline qui découvre comment ça marche les choses du coeur.

J'ai été déroutée par ta réponse, je l'avoue. Par tes mains, aussi. Déroutée par le tremblement de tes doigts qui caressent ma nuque. Sentir ton excitation monter par le simple fait de frôler mon visage. Me suis-je méprise à ton sujet ?

Plus de quinze ans qu'on se connait. Je te pensais froid, pas porté sur l'émotion d'un geste. Je te pensais pragmatique et peu emballé. Peut-être que dans le fond c'est un choix pragmatique. Et j'entendrais bien que tu aies pesé le pour et le contre de cette histoire. Moi-même, avec ma préparation d'athlète de jeux olympiques de l'amour, j'ai fait ma petite liste des points inconciliables.

Je t'ai tout déballé. Toutes mes peurs et mes doutes, quand j'ai senti dans le lit ta paume se poser sur ma taille. Je t'ai même demandé à quoi ça sert ? On avait déjà essayé à deux reprises dans notre histoire d'amitié et c'était décevant. Pourquoi recommencer ? Il me semble qu'avec les mêmes ingrédients on finit par reproduire la même recette, non ?

J'avais tellement brûlé de ne pas t'avoir exprimé toutes ces choses en quinze ans, mes incompréhensions face à tes méthodes et ton silence, le mystère de certains de tes comportements....ils me déboussolent, me font flipper parce que moi, je suis une parleuse, une fille qui ne sait pas mentir, je suis toute entière et j'ai besoin de creuser, sans cesse, vers la profondeur. Et malgré nos différences, nos manières de procéder, toi et moi on en arrive souvent aux mêmes conclusions sur les choses. C'est étonnant, je trouve.

Comme ce debriefing sur notre deuxième fois. J'ai cru que tu voulais pas t'investir, t'as cru que je voulais pas m'investir alors on s'est pas investis. J'ai cru que t'étais pas affectueux, t'as cru que j'étais pas expressive alors on s'est rien dits et on est restés distants et sans tendresse et on a très vite arrêté parce que du sexe pour du sexe, toi comme moi, on n'en voulait pas. Et quand on en a parlé, bien trois ans après, on était l'un en face de l'autre à se dire "mais je croyais que c'était toi qui...." et on a ri. En débiles que nous sommes. Tu vois, c'est ça quand on communique pas en amont. C'est juste la merde.

Et moi je ne veux plus présumer.

Alors, quand je t'ai demandé :
- "Tu voudrais quoi juste, toi, si t'avais pas à prendre en compte le désir de l'autre ?"
Et que tu m'as répondu doucement :
- "Je voudrais apprendre à te connaître. Je voudrais pouvoir découvrir quelle personne tu es dans l'intimité."
Ça m'a surprise et un peu touchée. Que tu désires continuer à apprendre à me connaître après quinze ans de soirées jeux, d'après-midi glaces, de calages en tailleur près des fontaines, ces partages de bouffe, ces binge watching et conversations geek, ces dépannages, des mois à dormir chez toi et tu me supportes encore, ces confidences, de quand on allait mal, même si retenues, ces débats enflammés, ces spectacles, de toi, de moi, t'as toujours été là et moi pas tant, parce que tu demandais peu, et pourtant, t'es pas parti en courant, t'es resté, la dernière fois que je t'ai invité pour un truc qui sentait le plan foireux tu m'as dit "je te fais confiance. Et en vrai, si c'est une occasion pour te voir, je viens." et quand je t'ai dit merci t'as répondu "merci de quoi ?" comme si tu voyais pas que t'étais adorable.

Quand tu m'as demandé ce que moi, je souhaitais, si je ne devais pas tenir compte de l'avis de l'autre, je t'ai expliqué que comme toi, avant tout, je ne voulais pas briser ce qu'on était déjà parvenu à construire et solidifier dans le temps et que j'avais envie de tendresse. De prendre mon temps, parce qu'ainsi, à tout moment, si l'on revenait sur nos envies et décisions, on pourrait s'arrêter dans notre course sans bavure parce qu'on roule à vitesse des plus raisonnables. Je me suis tellement précipitée par le passé. Une petite tornade d'amour, qui arrache quelques toitures sur son passage. Je veux pouvoir avancer les yeux ouverts. Parce que c'est tranquille. Que ça ne fait de mal à personne. Que ça tient compte de la vie qui nous reste.

Tu m'as demandé si pour l'instant je t'autorisais à être câlin devant nos amis commun.
Et c'est seulement là que j'ai réalisé que tu te projetais dans quelque chose de sérieux.

Et que j'avais pas vraiment anticipé ce genre d'éventualité...
Je croyais, au mieux, que ce ne serait pas pour tout de suite.

Je me rends compte qu'avec toi, c'est pas que j'étais pas emballée, c'est que j'avais fermé les vannes. Il y a longtemps, plus de dix ans, après la première fois. Je m'étais dit que de toute façon, t'aurais jamais d'autre intention que celle de jouer avec mon coeur. Mais on grandit, n'est-ce pas ? On n'a plus vingt ans. On s'émerveille pour d'autres qualités, d'autres valeurs dorénavant.
Et malgré ça, ce matin dans tes bras, c'est la jeune fille qui a palpité contre ta poitrine. Neuve et naïve. Je ne t'ai pas reconnu non plus. Tu étais si intense, tout en retenue. Je te sentais vibrer au rythme de mes inspirations, tu m'embrassais si doucement en me serrant si fort. C'était, une sensation d'antan. Quand on savait s'émoustiller d'une caresse.

Je n'aurais pas cru avoir attendu ce moment.
Pourtant, quelque chose en moi se libère.