mardi 8 août 2017

Une parenthèse dans l'été - Suite et fin

Tu t'es levé avant moi me préparer le petit déjeuner.
Je te trouve jeune pour vouloir t'occuper des autres de la sorte.

Quand je suis repartie sur ton dos en gyroroue vers le centre, tu m'as recommandé cette fois-ci de porter un casque. Nous avons arpenté la ville comme des cascadeurs et arrivés au théâtre, tu m'as souhaité un bon courage avant la représentation. J'avais si peu dormi. Mais j'étais comme soulagée d'un poids, celui de la fatigue psychologique, sans doute. Ce jour là, tu étais dans la salle. Cela m'avait porté.
Tu t'inquiétais pour ma voix, tu t'en voulais un peu.
C'était mignon.
C'était mignon tes étoiles dans les yeux, le spectacle t'avais ébloui et ému et en sortant de ce dernier tu as décidé de flyer pour nous et dire à tous les passants à quel point tu avais aimé nous écouter.

Tu avais deux jours de congés devant toi. Alors après les parades, on s'est donné rendez-vous à la terrasse du café. Il y avait encore tous tes collègues. Les nanas de la billetterie m'ont harcelées de questions, elles voulaient des potins qu'elles n'auront pas la chance d'obtenir. On était un peu incertains, je crois que tu voulais qu'on se retrouve juste tous les deux. On a fini par s’éclipser un peu tard chercher un restaurant. En marchant, tu m'as tenu la main. C'était bizarre. Moi je t'avais dit que j'avais potentiellement quelqu'un dans ma vie, toi que tu sortais tout juste d'une relation de cinq ans et que tu ne voulais pas t'engager et on se tenait la main. Tu m'as pris en photos à mon insu pendant qu'on mangeait et j'ai payé à ton insu pendant que tu allais récupérer ton matériel. On était quittes. Tu avais invité tellement de monde tellement de fois que je trouvais ça presque injuste qu'on ne t'offre rien en remerciement.

En sortant des toilettes, j'ai vu que tu discutais avec le régisseur. C'est lui qui tenait ce restaurant avec sa femme. Quand je suis arrivée dans la conversation, vous parliez de nos futurs enfants Circo et Maryl en vous moquant des mélanges de prénoms et après nous avoir fait visiter toute la propriété, il nous a serré dans les bras en nous disant qu'on était adorables et qu'il nous souhaitait bien du bonheur.

C'était encore étrange.
Quand on arrivait ensemble en giroroue on s'exclamait de nous "tiens, voilà les amoureux". Toi tu voulais rester discret. Je ne sais pas trop pourquoi, tout le monde était au courant.

Ça ne nous empêchait pas de nous asseoir en tailleur en pleine nuit devant le Palais des Papes l'un sur l'autre, profiter de l'Histoire et des paysages. De nous arrêter observer les étoiles et prendre des pauses farfelues quand une voiture nous surprenait en train de nous déshabiller derrière un arbre. De faire de la batterie sur nos corps respectifs. De s'improviser choristes avec les musiciens de rue et voler les applaudissements enfin, surtout toi. Tu me faisais danser sans cesse, et serrais fort ma poitrine pour me faire sortir des sons ridicules. Ça t'amusait qu'on se parle comme un vieux couple et de temps à autre tu t'exclamais pour le délire : "LES ENFANTS, ON A OUBLIE LES ENFANTS!!!". Ça me faisait mourir de rire. C'était si bien joué qu'à mon avis ce n'était pas une blague que tu faisais pour la première fois avec une nana, mais qu'importe. T'étais frais. T'étais fou. T'étais partant pour tout. On pouvait se marrer des heures sur une même chose, on aurait dit de vieux potes sans complexes qui continuent de rigoler même en se regardant pisser, le romantisme en plus. Avec ce petit côté léger de l'été. La palpitation des derniers jours, et l'envie de tout vivre à la fois. Les battements de cœur saisissant la fragilité de l'instant, se retenant d'exploser parce que... C'est comme ça. C'est voué à ne pas survivre au départ. 

Quand je t'ai dit que tu allais probablement un peu me manquer, je t'ai senti pris d'une angoisse.
Tu m'avais proposé de partir avec toi à la montagne après le festival mais tu avais finalement trop peur que je m'attache. Tu avais fait un sondage auprès de tes collègues et à l'unanimité, j'avais obtenu mon diplôme de fille géniale alors, tu ne voulais pas faire souffrir une telle personne. Tu étais d'un naturel attentionné et aimait séduire, tu avais peur que je confonde avec du sentimentalisme mais. Je savais. Bien que tu me dises en me serrant dans tes bras que tu étais heureux de partager ce bout d'existence avec moi, tu ne me regardais pas avec des yeux d'amoureux. Tout juste parfois, un semblant de désir qui s'échappait de tout ce que tu contenais. Même si tu me répétais que ce n'était pas que ça. Que tu pensais que c'était perdu d'avance, que je ne t'avais pas remarqué alors que toi. Dès les premiers jours dans les loges...

Tu me disais tout ça et ça sonnait comme un adieu.

Je suis remontée une dernière fois sur ton dos et lorsque le vent me caressait le visage, de mes lèvres je caressais ton cou. On a rejoint les autres et j'ai couru après la dernière navette. Je t'ai fait un signe d'au revoir un peu cocasse derrière la vitre mais je bouillais de frustration à l'intérieur. Un sentiment de déprime de tout quitter à la fois. Ma fantaisie, mes rêves, ma vie extraordinaire le temps d'un seul mois. J'ai pleuré pendant deux jours en rentrant dans mon petit appartement. Mes journées solitaires me paraissaient soudain fades et sans intérêt. Tu m'envoyais des photos des paysages que tu traversais. Tu continuais à me noyer d'images mais tu ne parlais presque jamais.

Je ne sais pas pourquoi tu continues à me contacter.

Probablement que tu te sens plus moral comme ça.
Je doute pas que tu sois un mec réglo, tu sais. Tu n'as rien à prouver.
Alors, puisque tu n'attends rien de moi, si tu pouvais arrêter de nourrir mes espoirs de la sorte, ça me rendrait service.
Je sais bien que c'est vain.
Je sais pourquoi je t'ai rencontré et en quoi cette complicité immédiate et follement juvénile a apaisé mes doutes.

C'est moi le cœur d'artichaut de l'histoire.
Laisse-moi au moins ce privilège là.

lundi 7 août 2017

Une parenthèse dans l'été - Part 1

Il fait chaud.
La sueur colle à ma peau.

J'ai mis quelques jours à m'en remettre, de ce mois incroyable. Le retour seule dans mon petit studio, loin de l'agitation et des lumières de la scène m'a soudain paru lourd et terriblement triste. C'était la première fois que je n'étais pas heureuse de retrouver mon appartement et ma solitude.

Peut-être que c'était trop pour moi.

Trop d'un coup. Moi la groupie dans un monde de vedettes, je me sentais grisée d'être observée de la sorte. Surement. Surement que ça me montait à la tête.

Devoir sans cesse décliner les invitations parce que mes collègues étaient beaucoup trop sérieux.
La frustration perpétuelle d'être à deux doigts à chaque fois.
Ça aura au moins eu la qualité de me garder en bonne santé physique jusqu'à la fin.

Et puis il y a eu toi.

Je ne t'avais pas cherché. T'es arrivé comme un cheveu dans la soupe à trois jours du départ. Tu m'as offert tes jambes pour m'assoir et tu m'as offert un massage. Ça ne m'avait rien fait de particulier, sur le coup.
C'était plutôt ta gentillesse, ton égard pour les autres et ton humour décalé qui me faisaient t'admirer.

Quand tu as vu que mes collègues souhaitaient rentrer avant le dernier bus, tu as proposé de me ramener plus tard. Délivrance, j'allais enfin pouvoir observer les nuits avignonnaises de mes propres yeux.
Tout le monde était à vélo, et toi sur ta gyroroue, tu t'es baissé devant moi et m'as demandé de monter sur ton dos. C'était très audacieux et un peu inconscient, comme geste. Sensation de liberté, et le vent qui caresse mon visage comme sur une moto sauf que c'est toi, c'est toi qui me portes, qui serres mes jambes sur ton torse, en équilibre.
C'était un drôle de spectacle et les gens nous prenaient pour des fous.

On s'est incrustés tous ensemble dans cette fête un peu jetset mais c'était la dernière chanson. Ensuite, le DJ s'est installé sur la scène et on est rentrés à 8 dans le photomaton qui jetait de l'eau et des confettis sur nos gueules puis on est allés faire les idiots sur la piste de danse. Vous bougiez vraiment comme des belges, sans crainte du regard extérieur.

On était à fond. Et, lorsque la musique a laissé place au silence, tu m'as pris les mains et tu as commencé à entonner les premières notes de Rock Around the Clock avec moi. Ton groupe a fait les instruments à la voix et les gens un cercle autour de nous pour nous laisser danser tous les deux un rock-charleston improvisé. Tu ne sais pas vraiment danser, mais tu as le rythme et la fantaisie nécessaire. A la fin du morceau, on s'est mis à faire une version beatbox déjantée de Sous les Sunlight des Tropiques et les gars de la sécurité nous ont demandé de nous diriger vers la sortie, parce qu'ils voulaient rentrer chez eux. On s'est alors tous donné rendez-vous dans votre maison pour un dernier verre et je suis remontée sur ton dos et toi sur ta gyroroue.

Tu n'as pas pris le même chemin que les autres. Dans une petite rue à l’abri, tu t'es arrêté et m'a reposé au sol. Je pensais que tu étais fatigué de tout ce trajet avec mon poids sur ta colonne. Mais tu m'as demandé si tu pouvais m'embrasser.
J'ai répondu non.
On a repris le chemin de la maison, comme ça, sans s'expliquer pourquoi.

T'étais tellement adorable, en vrai. C'était juste que c'était pas le moment pour moi.
Je me suis quand même laissé embarquer.
Et lorsque mes yeux se fermaient et que je t'ai demandé un couchage, tu es allé t'arranger avec tes collocs pour avoir une chambre tranquille, je le sais. Quand tu m'as expliqué que je prenais le lit deux places et que toi tu pouvais aussi t'assoupir sur le lit superposé avec un matelas de mauvaise qualité pour tes problèmes de dos j'ai haussé les épaules. Pas la peine d'en faire tout un plat, tu peux dormir avec moi tu sais. Tu étais jeune, cinq ans plus jeune que moi, encore tout frais. Tu as serré les poings et fais un "yeeesss" en guise de victoire quand tu as entendu ma réponse.

J'avais oublié un détail.
Je n'étais plus du tout habituée à la présence d'un homme sous le même drap que moi.
Et mon cycle d'abstinence prolongé rendait mes hormones complètement en émoi.
Tu ne t'en doutais pas encore et tu l'espérais peut-être, mais nous n'avons pas pu fermer l’œil de la nuit.