dimanche 30 mars 2014

Si seulement j'avais appris à travailler...

Je viens de finir Bref.
J'en garde quelque chose d'émouvant à l'intérieur.

J'avais pas voulu me pencher sur la série à l'époque, parce que je fais toujours ce blocage un peu chiant quand une peuplade entière me recommande la même chose dans le même laps de temps. Pour peu que quelqu'un ajoute "je suis sur que ça va te plaire", vous pouvez être certain que je mettrai toute ma mauvaise volonté à ne jamais regarder. C'est pour ça que les films, bouquins, musiques cultes et compagnie, je ne connais rien de tout ça.

C'est aussi pourquoi j'ai attendu de perdre certains amoureux ou amis pour prêter attention à leurs références culturelles. Je ne sais pas, j'avais un poids en moins et pas de culpabilité. Je me sentais libre d'apprécier un artiste pour lui-même et non pas parce que j'apprécie celui qui me l'a conseillé.
C'est tordu, oui. Mon esprit est tordu.

Je lisais un peu le parcours de Kyan Khojandi. Bon, déjà il a l'oreille absolue, de quoi le jalouser jusqu'à la fin de sa vie... Et puis le fait qu'entre des gens simples mais pas intellectuels et ceux du conservatoire, cultivés mais un peu bourgeois, il n'arrivait pas à trouver son groupe à lui. Mais il avait un meilleur ami. Je ne sais pas si j'en ai véritablement eu. Il y a certaines personnes qui m'ont considérée comme tel. Qui se sont plus tard éloignées, ça m'a fait un creux, quand même. Du coup aujourd'hui, je suis assez prudente sur les termes.

Il faut dire que moi non plus, j'avais pas de groupe à moi. Pas de meilleur ami pour autant. Seulement des extraterrestres aux relations fusionnelles bien qu'éphémères. J'aurais aimé réunir ces extraterrestres là et en faire un groupe soudé. Mais ils ne se mélangeaient pas entre eux. C'était même un certain miracle qu'ils souhaitaient me côtoyer. Toute mon adolescence, j'ai cherché des gens qui pouvaient me ressembler. Un semblant d'appartenance, dans le fond de l'être. J'avais trouvé ces saugrenus là, un peu génies sur les bords. C'était vers ça que je tendais. Pas la mode, pas la popularité, pas le fun. Je voulais toucher du doigt le génie.

J'ai fréquenté des garçons agaçants et extraordinaires. J'étais tellement frustrée qu'ils n'aient jamais autant de temps pour moi. Ils avaient constamment quelque chose sur le feu, dans leurs mains, dans leurs yeux, dans leur esprit vivace. Ils avaient constamment des priorités autres que d'entretenir une amitié. Je ne comprenais pas, à l'époque. Ça me dépassait, de placer quelque chose plus haut, plus important que la relation humaine. Ça m'a souvent brisée aussi, de ces "pourquoi" qui revenaient sans cesse. Des fois, j'en dormais pas. Le reste, j'en rêvais la nuit. Et pendant longtemps, ça m'a poursuivie.

Aujourd'hui, je comprends. On n'est pas tous fait pour avoir le même parcours. Et c'est tant mieux.
Je comprends que cette distance qui nous sépare dans le présent, elle est due en partie à cela. Que s'ils sont loin dans leurs objectifs dorénavant, et presque irrattrapables, c'est qu'ils n'ont pas mis les priorités aux mêmes endroits que moi. Ça a ses avantages et ses inconvénients, comme pour tout. Mais aujourd'hui, je comprends. Parce que je le ressens en moi. Tous ces projets sur le feu qui n'attendent qu'à être égouttés. Je ressens en mes paumes la montagne de travail que j'ai à accomplir. Et plus qu'un seul cri d'élan.

"Au boulot."

dimanche 23 mars 2014

Should I surrender?

Should I be fire or ice?
Should I be firm or tender?
Should I be bad or nice?
Should I surrender?

Shall I resist my heart?
Shall I deny it's splendor?
Shall I insist we part?
Should I surrender?
                 
His pleading words so tenderly entreat me.
Is this the night that love finally defeats me?

Should I avoid his touch?
Should I be a shy pretender?
Should I admit
I'd much rather surrender?

Should I Surrender {from Lover Come Back} by Doris Day on Grooveshark

samedi 22 mars 2014

C'est le printemps

C'est le printemps.

La course poursuite des énergies renouvelables.
Du corps et de l'esprit qui bourgeonnent.
Qui butinent.
Se mutinent.
Face aux taies d'oreillers non attribuées.
Aux places à pourvoir dans un cœur qui éclot avec la saison.

Ne le sentez-vous pas?

L'appel de déraison.
De l'émoi qui palpite.
Frétiller à l'envie, polliniser la planète entière.
C'est dans l'air.
Les effluves.
Répandant leur cri en une seule dénomination.

Deux.

Ne le sentez-vous pas?
Ça prolifère si vite que j'en ai les yeux qui piquent, le nez qui coule et les éternuements.

Je suis allergique au printemps.

jeudi 20 mars 2014

Emportée par la foule et des mains qui s'attrappent 2/2

Dans cet amas de mains valseuses, ce slam de gestes innocents, il y en avait une.
Une à l'intention inappropriée au contexte. Une intruse. Une profiteuse.
Elle venait régulièrement me sortir de mes songes artistiques, véhiculant un tout autre discours.
Et beaucoup de suspects potentiels.

Je décidais de remonter doucement du poignet, au coude, à l'épaule surprendre l'emmeteur en plein flagrant délit. Mes ongles s'agrippant à son cou j'ouvrais les yeux sur lui. Ce type à la rencontre atypique, aux larmes non embrassées. Il m'avait ignorée la moitié de la soirée.

Et maintenant, que voulait-il?
Quel mal lui prenait?

Nous ne nous étions jamais rapprochés de la sorte. Et je trouvais cela tellement fourbe de le faire dans l'anonymat des gestes, des corps qui se chevauchent.
D'un autre côté, si poétique.

Nous avons dansé, tous ensemble.
Ca a duré longtemps. Quand le courant t'emporte, il t'enivre.
Te libère de tes inhibitions.
J'essayais d'oublier. De me concentrer sur la création, cette masse informe qui se mouvait d'une même impulsion. Puis il y avait quelqu'un que j'aimais profondément. Bien que pour sa part à lui, il n'était plus sûr de rien.

Les musiques se tassent, les gens se dispersent, je décide d'appeler mon sorcier bienveillant et petit ami de l'époque. C'était un peu ma bouée de sauvetage. Le phare qui m'éclaire dans mes droites intentions. Je souhaitais ardemment lui parler de mes doutes. Je n'eus pas de réponse de la soirée. Un message sur le répondeur, deux textos et quatre appels manqués plus tard, je fis le choix un peu malgré moi d'abandonner mon téléphone, prendre sur moi et me méfier de la chaleur ambiante.

Mais c'était compliqué. En tailleur sur le canapé, le garçon des étoiles à ma gauche, celui aux larmes non embrassées à ma droite.
L'étau se resserrait.
Nous étions tous les trois très proches. A ma droite, un peu plus physiquement. A ma gauche, il y avait beaucoup trop de respect et d'amour mutuel pour se laisser aller à quoi que ce soit de déviant.

Le pire je crois, c'était le confort de la situation.

C'était se sentir comme à la maison entre ces deux compères. Et rire, et philosopher pendant des heures sans quitter ce canapé là, comme des amis de toujours alors que bon.
On sait que non.

Peut-être que mon ami danseur manouche a eu pitié de moi.

Toujours est-il qu'alors que la majorité des invités enfilaient leur manteau d'hiver pour rentrer, ce dernier a attrapé ma main pour me sortir de ma prison matelassée.

Feeling Good, Nina Simone.
Il a dû le faire exprès.

Ses doigts se sont rabattus sur les miens et nous avons valsé. Comme au bon vieux temps, quand danser tous les deux était facile. C'était facile. Avec lui, swinguer des hanches tout en finesse et sauvagerie, ça n'a jamais posé aucun problème. Ni aucune question ambiguë qui reste à jamais sans réponse. J'aime mon danseur manouche. Je l'aime de tout mon être. Je l'ai toujours dit. Peu importe la forme. Et alors que nous nous tenions avec une nonchalante robustesse, que nous accaparions l'espace et la vitesse, je me suis mise à chanter "birds flying high, you know how I feel".

C'était magique. C'était ma délivrance.
Mon moment d'extase et de plénitude.

Sans perdre le rythme, mon danseur manouche m'a fait tourner, tourner. Jusqu'à la fin, clou du spectacle, des tours sur moi-même sans interruption. Nous nous rapprochions de la dizaine et je commençais à chanceler sévère, mais il n'a pas faibli et à continué son manège, jusqu'à la dernière note de musique. Là, il m'a délicatement déposée en esquissant le pas de danse final, moi qui ne tenait plus debout, déséquilibrée, il m'a déposée sur le canapé et j'ai atterri dans une souplesse et une douceur incroyable entre de grands bras. Tout contre ce garçon aux larmes non embrassées.

Peut-être se rattrapait-il aujourd'hui? Pour les embrassades.
Peut-être s'étaient-ils donné le mot.

Cette sensation d'atterrissage molletonné restera gravée en mon épiderme. Complètement exaltée et ouverte par la danse, me retrouver contre le corps de ce mystérieux jeune homme m'a fait l'effet d'une défonce à la montée fulgurante. Stone, mon être s'est laissé manipuler par l'ivresse des sens. Sa main a escaladé mon échine, le long de ma nuque et ses doigts ont saisi mes cheveux avec une fougue maitrisée. Les frissons ont parcouru mon crâne et j'étais finie. Ma raison, en charpie. Ma prudence.

J'étais à lui. Durant ces dix secondes.
Je me suis cambrée de plaisir, comme un félin que l'on caresse.
Il s'est soudain levé du divan et a prétexté qu'il devait s'en aller maintenant.
Protestations du garçon des étoiles et moi-même en choeur : "mais non, reste! reste dormir ici avec nous!"

Qu'avais-je dit...

Le fait est qu'il était venu avec quelqu'un.
Une amie à lui.
Et qu'ils devaient repartir ensemble.

Je l'observais de loin négocier avec elle, qui ne voulait pas rentrer sans lui. Elle était pas mal bourrée. Il essayait de la convaincre de rester aussi, mais elle n'avait pas envie. Il a fait la girouette de la décision. Il revenait s'assoir sur mes genoux, comme si c'était normal. Puis après il nous disait qu'il devait être chez lui tôt le matin du lendemain et que ce n'était pas raisonnable, qu'il fallait qu'il prenne un vélib, que ce n'était pas si loin, qu'il valait mieux qu'il se couche tôt...

Je n'ai plus rien dit. Il était sur moi, et n'a plus quitté cette place jusqu'à la fin de la soirée. J'avais son dos contre mon visage. Il fait bien une tête de plus que moi. Je n'ai pas pu m'en empêcher. Mes doigts sont venu grattouiller sa colonne. J'avais besoin de toucher. Mais tout en retenue. Parce que je ne me laissais pas vraiment le droit. A un moment donné, il s'est levé à nouveau. Il est allé annoncer à son amie qu'il resterait dormir ici et lui a dit au revoir. Ca avait le mérite d'être clair.

Nous avons mon garçon des étoiles, celui aux larmes non embrassées et moi-même déplié le clic clac du salon sur lequel nous étions assis depuis le début. Mon ami danseur, maitre de maison l'a-t-il fait exprès? Toujours est-il qu'il nous a annoncé qu'il y avait déjà quelqu'un qui dormait là pour sur, ainsi que le garçon des étoiles, qui était hébergé ici la semaine. On y rentrait à trois, mais il n'y avait plus qu'une place disponible entre le garçon aux larmes non embrassées et moi. Dilemme.

Je lui ai soufflé à l'oreille que je ne voulais pas dormir avec mon ex. Que je ne voulais pas de place dans ce lit là. Il m'a rassuré : "ne t'inquiète pas, on va se trouver un endroit".
On.
Mais le danseur manouche, assez autoritaire, nous a réparti dans les pièces. Nous avons eu beau trouver des prétextes, il les a rapidement balayés par une organisation du dortoir bien personnelle. Qu'importe. A la fin, nous dormions dans la même chambre. Et tout un tas d'autres pensionnaires des tapis de sol qui nous séparent.

Bien que légèrement déçue, j'ai poussé un soupir de soulagement en m'abandonnant au sommeil.
Intérieurement, j'ai remercié mon ami danseur d'avoir pris, bien qu'inconsciemment, un choix crucial à ma place.

Puis j'ai souri, satisfaite.
J'ai remercié la vie de me protéger de mes inconstances.


mardi 18 mars 2014

Emportée par la foule et des mains qui s'attrappent 1/2

Je me rappelle, c'était un peu avant Noël sur la capitale.

Une tonne de mois que je n'avais plus visité Paris. Il m'avait dit, "amuse-toi là bas, ne te retiens pas pour moi alors que je ne peux t'apporter l'amour que tu recherches".  J'avais pensé, encore ce manque de confiance en soi biaisé par une forme équitable d'échange. Quand mon sorcier bienveillant m'avait posé la question "et si jamais il devait y avoir quelqu'un d'autre après moi, tu verrais qui?" je lui avais répondu sans détour ni hésitation le prénom de ce garçon à la rencontre atypique. Je lui avais raconté le coup des bras tendus pour pleurer, et aussi de comment ça c'était fini, c'est à dire du jour au lendemain, un bon coup du lapin sans aucune excuse et plus de nouvelles avant son départ pour la Californie. Puis je m'étais ravisée. Même s'il me plaisait plus que les autres et qu'entre temps par de longues séries de mails nous nous étions platoniquement rabibochés, je ne crois pas pouvoir construire quelque chose de sérieux qui tient la route avec un homme pareil.

C'était un peu avant Noël donc.

Mon garçon des étoiles, ex amoureux avec qui je devais partager un an de ma vie en Australie avait pris un sursis en France de deux semaines. Nous nous étions vus une soirée dans le sud et promis que nous nous reverrions avant son départ lors de la crémaillère parisienne de cet ami commun danseur manouche qui nous avait réuni, à l'époque. Soirée déterminante, puisqu'était également revenu de Californie ce type et cette histoire de sanglots dans des bras qui ne se sont pas ouverts. Deux ans d'intermède au milieu. J'appréhendais. J'en avais parlé à mon sorcier bienveillant, qui m'avait alors lancé la fameuse : "amuse-toi là bas, ne te retiens pas pour moi alors que je ne peux t'apporter l'amour que tu recherches". Ce n'était concrètement pas mon but. Et en même temps.

Il s'était avéré que lors de ces deux années, mon garçon des étoiles et ce type aux larmes non embrassées s'étaient découvert une passionnante amitié respective, et qu'avec mon ami danseur manouche, ils formaient un trio incomparable. J'avais une histoire (plus ou moins amoureuse) avec chacun et bien que sincère et vraie, je redoutais les petits conflits d'égo.

Il n'en fut absolument rien.
Tellement rien que c'en était presque étonnant. Le danseur manouche valsait d'une convive à l'autre (après tout, c'était sa soirée) et se préoccupait avec sa compagne du bien-être de tous, le garçon des étoiles et moi-même nous liguions d'un commun accord contre le reste du monde dans des débats enflammés et ça faisait du bien de retrouver un allié d'une telle qualité d'esprit et de coeur. Quant au type aux larmes non embrassées, il m'ignorait, et n'était pas venu me dire bonjour. Pas plus mal. Rustre, mais pas plus mal.

La cuisine-salon s'était métamorphosée en une énorme piste de danse contact, où chaque protagoniste faisait un avec les corps autant qu'avec le mobilier. Les quelques glandus pas habitués à la fusion de groupe se retrouvaient sur le canapé à converser comme s'ils ignoraient délibérément ce qui était en train de se passer juste devant eux. C'est comme ça que je me suis retournée vers lui, assis à côté de moi. Il m'avait ignorée, mais il n'avait jamais été bien loin. Nous nous sourions, tout en prenant de nos nouvelles respectives. Nous causions exploration du soi en observant ce spectacle étonnant des physiques qui se meuvent et s'imbriquent dans une musicalité et une beauté étonnante.

- Ça donne envie, m'enquis-je.
- Qu'est-ce qu'on attend pour y aller?

Il me prit la main, me larguer dans la foule. Mon ami danseur manouche en profita pour rameuter les autres timidement assis, dont le garçon des étoiles et je fermai les yeux. Je m'abandonnai au mouvement et à la vague des peaux qui surfent les unes sur les autres sans jamais s'entrechoquer. Le poids du corps. L'équilibre. La fluidité de certains êtres.

Et une main qui m'attrape.

samedi 15 mars 2014

Les bouchons n'ont qu'à bien se tenir

"Vous ne devriez pas être ici."

"Lâchez ce genre d'endroit, c'est bien plus haut qu'on vous attend."

Ce furent les premiers commentaires reçus en descendant de scène.
Un léger ton de réprimande.

"Vous vous trompez de chemin, vous ne visez pas la bonne cible."

"Vous n'avez pas à monter successivement les paliers, allez directement toquer aux plus grandes portes."

C'est écrit dans les lignes de votre main. Qu'ils me mimaient le geste.
Peut-être que je n'ai pas le recul suffisant pour décoder ma propre existence.
Peut-être que je brade mes mérites.

Je crois en la providence.
Plus que réussir grâce à son unique talent. Ça se saurait.
Je crois que si je souhaite avoir la chance de mon côté, je dois travailler ma bonne étoile. Et devenir cet être digne d'être aidé par les divinités. D'être soutenue par ses anges, qui prennent tous les risques en mon nom.
Il faut du talent, bien sûr, et un certain savoir faire. Mais il faut l’aplomb nécessaire. Les structures intérieures, pour que rien ne s'écroule sous l'étincelante apparence.

J'ai rencontré une nana hier. Une chanteuse. A l'écriture prolifique, la verve boostée par la niaque. Je l'ai embarquée dans mon délire rappé et nous avons swingué jusqu'à des heures indues. Les idées se bousculaient en mon esprit, l'inspiration barrée, les projets, les flow, les sursauts d'envie, l'excitation du renouveau, la motivation requinquée que je n'en ai pas dormi de la nuit. Les yeux grands ouverts sur l'étendue des possibles. 

Je crois que je suis remplie de quelque chose qui n'attend qu'à sortir.

vendredi 14 mars 2014

Admirable et dommage

A nos rendez-vous retranscrits un 23 février 2014, vers les 03h00 du matin :


Un appel de Peter à 10h30 du matin. Cela faisait environ cinq heures que j'étais couchée et le temps que je tende ma main vers le téléphone, fasse ces satanés codes de déverrouillage de l'appareil (je me suis compliquée la vie), il cessait de retentir. Ça a duré deux, trois sonneries peut-être. Allez, coupons la poire en deux sonneries et demie.

Étant souvent en haut de la liste des contacts avec ma première lettre de l'alphabet des prénoms, j'ai l'habitude de ce genre d'embrouille où tu décroches et tu entends les gens marcher. Mais là, c'était Peter, à 10h30 du matin, au bout de deux sonneries et demie. Ça faisait quoi maintenant, quinze jours que j'attendais qu'il m'appelle? En réalité, comme je garde difficilement les visages en imagerie mentale, je n'attendais plus.

Bref, pas pressée de le contacter et me réveillant doucement, je lui ai envoyé un petit message vers les 13h00 qui demandait l'objet de sa démarche (enfin, je ne lui ai pas écrit texto "quel est l'objet de ta démarche?" ç'aurait été bizarre). Pas de réponse. J'oublie vaguement. Tout un travail personnel pour passer légère, au dessus des situations palpitantes.

Puis 16h00, je suis aux toilettes. J'y suis souvent, c'est peut-être pour ça. Il m'invite à écouter G*rshw*n à l'Opéra. Musique de chambre, un quintette de cuivres. Je pense à un mélange complètement improbable et je suis presque excitée à l'idée d'entendre ça. Sauf que c'est à 17h00 et que je suis aux toilettes, en pyjama.

Je me demande s'il essayerait pas de foirer le rendez-vous. D'abord il m'appelle le matin, et raccroche avant que je n'ai eu le temps de décrocher. Puis il m'invite, mais une heure avant seulement. Je veux dire, il a eu toute la journée. Je me prépare perplexe.

J'arrive avec dix minutes de retard, presque un record. C'est complet, mais on l'a autorisé à se poser sur les marches en marbre dans l'entrée, l'acoustique est formidable. Nous parlons en chuchotant lorsque le silence n'est pas roi. Je suis calme, il l'est aussi. Heureuse de me déterrer de mon trou à rat, de donner à manger à mes oreilles qui sont en pleine diète depuis un certain temps. Je suis sur la marche du bas, dos à lui. Je ne sais pas ce qu'il fait, je ne sais pas ce qu'il pense. Mais mon cœur tient un rythme régulier, je suis rassurée. Je préfère quand il ne s'emballe pas plus vite que la musique.

Le concert terminé, nous marchons pendant longtemps, sans but. Sans trajectoire. J'ai l'impression que nous nous éloignons, alors que nous n'allons nulle part. Il veut bien aller boire un verre, mais quelque chose de chaud. Ça tombe bien car lorsqu'il m'en parle, nous tombons sur ce petit café resto bio dont les tables en terrasse me connaissent bien, ainsi que le piano. J'y ai passé bon nombre d'après-midi ensoleillées pour sécher mes peines de cœur. Seule, avec de quoi écrire. Le patron était le contraire de ce qu'on peut appeler déprime, et son sourire, ses phrases enthousiastes me faisaient du bien. Quand nous sommes rentrés dans sa demeure, il a dit "J'ai presque su que c'était toi". Il était vraiment content de me revoir. Il y avait un concert ce soir.

Peter et moi nous sommes assis avec nos petites tisanes respectives, on avait l'air de jeunes vieux heureux d'être encore vivants. Je ne sais pas si c'était la barrière du langage, mais je n'ai pas senti d'étincelles dans ses propos. Il était calme, peut-être trop. Peut-être étaient-ce les lunettes qui atténuaient son regard. Peut-être était-ce la fatigue, d'avoir tenu sa soutenance la veille. Peut-être qu'il se laissait tout simplement porter, sans jamais vraiment saisir le coche.

J'ai besoin de tellement plus d'impudeur.

Le concert commence, un duo. La fille est posée sur son cajon, les jambes dénudées par sa jupe qu'elle replisse pour jouer, un angle terriblement sexy. Je glisse discrètement ma remarque aux oreilles de Peter. C'est un garçon d'un sang froid remarquable. Que j'aurais presque envie de provoquer ses sueurs. J'évoque André Minvielle, La Vie d'ici bas. Lui fais noter dans son petit calepin du ciboulot, la référence à écouter en priorité. Croyez-le ou pas, ça a été la chanson suivante jouée par le groupe. Au milieu de toutes ces coïncidences prodigieuses, il m'a avoué qu'il avait composé mon numéro de téléphone pendant son sommeil. S'endormir sur son portable, et se faire réveiller par la tonalité d'appel...

Ce sont des petits accidents heureux que distribue la vie à tout va.

D'un côté, j'aurais aimé qu'il ait eu envie de me contacter lui-même. Mais je me contenterai très bien de l'entremetteur hasard. Bien que cela me fasse réfléchir à deux fois.
Était-ce mon réel choix? Désirais-je au plus profond ce qui pourrait éventuellement advenir?
Peter n'était pas du genre à se confier. Alors, je lui posais les questions nécessaires. Je veux bien comprendre que ce ne soit pas dans sa culture de faire le premier pas. Ou juste une question de respect. A moins qu'il ne soit pas du tout intéressé?

Ils m'ont fait chanter, ce soir là. Je ne voulais voler la vedette à personne, alors j'étais gênée. Mais heureuse de pouvoir lui transmettre un peu de mes poèmes intérieurs. Il en était ravi, avec ce grand sourire. Ce sourire qui ne projette rien, aucun désir. Aucune volonté de possession qui emprisonne le sentiment. C'en était à se demander s'il existait quelque chose.

Et dans la nuit tombée, lorsqu'il m'a ramenée chez moi, nous discutions physique. Physique, oui. Mouvement des liquides. Adhérence de l'eau sur le verre. C'était pas top glamour, mais ça avait son charme. Curieuse, je lui ai posé des questions, sans savoir qu'elles étaient piège. Ca lui a retourné le cerveau. Devant les bornes de vélo, il s'est tellement remué la cervelle qu'il s'est fait prendre le dernier deux roues sous son nez. Alors qu'il avait la main sur le guidon depuis 5 bonnes minutes. Sans s'énerver, il s'en est allé trouver d'autres bornes. Nous avons cherché ensemble la traduction anglaise de crépuscule, un mot imprononçable pour son accent à tomber. De toute manière, il n'arrivait plus à aligner les syllabes dans le bon ordre. Il a concédé qu'après 22h, son français l'abandonnait subitement. Je me suis dit qu'il était un couche tôt comme j'ai rarement eu l'occasion d'en côtoyer.

Nous nous sommes fait une bise des plus convenues. Et malgré une certaine myriade de compliments et autres recommandations que des vieilles connaissances rencontrées ce soir là avaient baratiné à mon sujet, comme s'ils voulaient me vendre, Peter n'a pas bronché d'un cil. Pas levé de petit doigt. Pas profité des ouvertures assez béantes que je lui offrais (sans mauvaises allusions, s'il vous plait). J'ai trouvé ça admirable. Et dommage à la fois.

Et puis finalement, pas plus mal.

Une fois son vélo en route, je suis rentrée seule à mon domicile. C'est le paradoxe de celui qui raccompagne qui se fait raccompagner. Quand j'ai regardé l'heure, il était 01h30. Pas si tôt que ça, mine de rien.

Le lendemain, un texto de Peter qui répondait à ma question piège, LA grande problématique scientifique.
Comme s'il n'en avait pas dormi de la nuit.

J'aurais préféré qu'il rêve de moi...

vendredi 7 mars 2014

Et les ponts s'effondrer

 Baffouillé il y a plus d'un an, un 31 janvier 2013 :

"Ça m'avait fait du bien de te voir mais je crois que j'ai eu peur (oui ça parait un peu débile, mais je crois que c'est ça...) de quoi je n'en suis pas sur. 

[...]
Ce n’était pas par rapport à une pression (de ce que je me souviens) mais plus par rapport à la manière dont je t'ai ressenti. Ce n’était pas une peur de toi à proprement parler, mais peur de moi vis à vis de toi. En tout cas je te rassure, tu n'y es pour rien. J’étais déjà émotionnellement surchargé et je n'aurais pas pu gérer plus je crois."

Ça fait beaucoup de "je crois".
Je dois en conclure quoi?

Je me rappelle la première fois que l'on s'est rencontré, c'était l'anniversaire de mon ami danseur manouche. J'en avais beaucoup entendu parler, de près ou de loin, et on m'en avait montré quelques photos, ce qui fait que lorsqu'il a franchi la porte d'entrée, avant les présentations, je l'ai reconnu.

Soirée étrange. Il me fixait avec insistance, mais me semble-t-il qu'il ne savait pas ce qu'il faisait. Il n'était pas vraiment là. Lorsque des personnes lui ont demandé s'il avait retenu les prénoms, il en a cité deux. Dont le mien. J'ai su, allez comprendre pourquoi, qu'il me fallait aller à sa rencontre.
Je me suis levée du canapé, me suis assise en tailleur face à lui.
Je lui ai peut-être balancé un truc du genre "tu me regardes, il y a quelque chose que tu veux me dire?" mais je n'en suis plus du tout sûre. Peut-être ai-je juste poursuivi la conversation générale, sur les formes de méditation, si ma mémoire ne s'est pas trop abîmée.

Nous avons tout de suite échangé avec sincérité. Il m'a parlé du décès récent de son compagnon de voyage, accident de moto, lors de son road trip jusqu'à Pékin (encore un passionné de l'immensité du monde étranger, décidément), il était silencieusement bouleversé. Je le voyais à ses yeux scintillant d'émotion. Je lui ai demandé s'il avait été ému. Il m'a répondu qu'il s'était écroulé une unique fois, devant les parents de son ami. Une petite voix m'a alors soufflé "mets-toi debout et serre-le dans tes bras" mais je ne l'ai pas écoutée. Après tout ce type, je ne le connaissais pas plus que ça. Nous avons discuté en nous regardant avec force jusqu'à ce que les lumières ne s'éteignent, le gâteau et ses bougies entrant en scène. Il s'était passé plus d'une heure depuis que nos corps se faisaient face et nous avions perdu la notion du temps. Tout le monde chantait le joyeux anniversaire dans l'obscurité chaleureuse mais nous avions du mal à revenir à la réalité de la fête. Je crois, lui comme moi, que nous ne voulions pas que ça s'arrête. Parce que. Il était en train de s'opérer quelque chose de singulier entre nos êtres.

Le lendemain, il envoie un message à mon ami danseur, qui s'empresse de me le faire lire.
"Ta pote Anne, d'où est-ce qu'elle sort?"
Et après l'avoir un peu travaillé à l'écrit sur le pourquoi, il s'explique :
"C'est étrange, j'ai eu envie de lui pleurer dans les bras."

Ce ne serait même pas étonnant si ça avait été pile au moment ou s'est glissée cette petite voix qui m'invitait à le consoler.

Nous nous sommes revus le lendemain, et les quelques fois proches où je rendais visite à la capitale.
Il y avait un truc.
Une énergie palpable.
Lorsque je me tenais assise à ses côtés à une certaine proximité, je sentais son état présent, ses émotions se distillaient en moi comme de puissants flux, tellement puissants, qu'il y avait une sorte de couche sensitive tout autour de lui, sur laquelle j'aurais pu m'appuyer, sans la traverser. C'était si concret. Si tactile. Je n'avais plus besoin de lui poser la question "comment vas-tu?". Je devinais. Impression d'exactitude.

Je voulais absolument comprendre et creuser le personnage, m'exclamer "as-tu conscience de tout ce que tu dégages?" mais il n'en était qu'aux balbutiements de la réflexion, sur les rails du peut-être. Envisager une autre existence. Il n'était pas encore dedans. Alors oui, c'était probablement effrayant. Se découvrir un nouvel horizon sensitif, propre et intime mais puissant, appuyé par une personne extérieure dont on a plutôt l'impression qu'elle est à l'intérieur, vu qu'elle a l'air de savoir.

"Difficile de mettre des mots. Ressenti de manière forte, juste comme quelqu'un qui vibre à la bonne fréquence, ou en tout cas à une fréquence avec qui je pouvais peut-être rentrer en résonance, et je n'étais pas prêt à ça. Quand deux fréquences entrent en résonance, ça peut faire s'effondrer des ponts (pour de vrai !). "