jeudi 11 septembre 2014

Petite leçon de savoir vivre

Une heure du matin.
Ma rue est déserte.
Deux hommes sont assis sur le palier voisin de mon immeuble. Un troisième est debout à discuter, short, torse nu.
Je descends du trottoir, assez étroit, je n'ai pas envie de les traverser.
Ils se tournent vers moi, m'observant avancer.
Arrivée à leur niveau, je les salue, leur disant bonsoir.
Les ayant à peine dépassé, j'entends balancer derrière moi, la voix glauque de circonstance :

- Tu sens la peur...

Sous-entendu : le danger qui te guette, tu l'as senti toi aussi?
Je ralentis, me tourne vers eux.
Fais ma plus belle tête incrédule. La bouche ouverte, les grands yeux ronds, les sourcils relevés.
Pas de chance, je m'arrête à la porte à côté, les fixer de la sorte, ma clef entre les mains.

- Non mais, je rigolais...

Se justifie l'un devant mon silence hébété, les mains ouvertes en guise d'amendement.

- Aaaaah! Parce que bon, balancer comme ça, "tu sens la peur" - le caricaturais-je en imitant sa voix - à une nana, en plein milieu de la nuit, la rue complètement déserte, c'est assez.....bizarre....comme blague, tu avoueras!

Les deux autres riaient à gorge déployée, je crois qu'ils ne se moquaient pas de moi, mais plutôt de leur compère tout penaud qui venait de se prendre une espèce de râteau qu'il n'avait pas anticipé.
Je leur ai souhaité une bonne soirée avant de passer le pas de la porte et cette fois, ils m'ont rendu la politesse.

Y'en a assez d'être flippés de la vie tout le temps comme ça.
Et s'il y en a qui contribuent à foutre le malaise jusque devant chez soi, faut pas se priver d'ouvrir sa bouche. Leur signifier que non, c'est pas normal, voire déplacé. Ce genre de phrases, dans ce genre de contextes.

La dernière fois, en pleine nuit aussi, un mec qui pissait sur une poubelle devant moi a croisé mon regard dans la rue. En remontant sa braguette il m'a dit en s'appliquant "bonsoir, tu es très jolie", j'ai incliné la tête en guise de courtoisie et tracé ma route. Il n'a pas vu le subtil geste, il était bourré. Du coup, il s'est senti vexé et continuait à s'exprimer derrière moi, en boucle, tout en me suivant sur quelques mètres :

- Oh, c'est pas gentil de pas répondre! T'es peut-être jolie mais t'es pas sympa!

Je me suis retenue de revenir sur mes pas parce que je n'avais pas tellement le temps, ni l'énergie d'ailleurs, mais si je l'avais fait, je lui aurais sûrement répondu ça :

- C'est pas tellement le fait que tu m'abordes qui me fait tracer sans me retourner. C'est que tu oses venir me parler alors que tu viens de pisser sur une poubelle juste devant moi, que t'as les mains qui viennent de t'égoutter le gland et que tu pues l'alcool, mais à quel point j'ai pas envie que tu m'approches! Je sais pas, ça te vient pas à l'esprit que c'est pas des choses qui se font, ça? Que c'est irrespectueux au possible pour celle que t'as en face? Qu'une fille qui rentre à pied seule le soir, le dernier truc dont elle a envie, c'est qu'un mec la suive pour lui taper la discute maintenant, juste maintenant? Et en plus bourré, et crade? Et tu espères vraiment qu'en retour de ce que tu m'offres, je vais être sympa avec toi? Je dis pas, en journée, dans d'autres circonstances, je t'aurais sûrement remercié pour ton gentil compliment. Mais là, c'est toi l'outré? C'est toi qui trouves ça pas sympa, irrévérencieux? Mais c'est à moi que tu manques de respect. Je ne suis pas le papier-cul sur lequel tu viens t'essuyer une fois que tu t'es soulagé, et ça, c'est le minimum du savoir vivre.

Bordel.

2 commentaires:

  1. Ah oui, la grande grande classe de dire à une fille qu'elle est jolie en s'égouttant le gland, elle est pas mal, celle-là ! Il s'attendait à quoi ? A ce que tu lui dises merci et que tu fonces sur sa braguette comme une chienne en chaleur ? Je rêve. Ça ma rappelle cette fois où un groupe de mecs me voient passer et me disent "Vous êtes très jolie, Mademoiselle" et comme je ne répondais pas, deux secondes après "Sale pute". J'étais avec mon frère qui m'a dit "Ah ok, c'est donc ça que vous vivez en tant que femme ?". Eh ouais. Flippant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai "la chance" de ne pas me faire insulter. En même temps, c'est que je réponds souvent quand on m'interpelle. Je fais des blagounettes. Je me rappelle d'un kéké qui s'est assis dans le métro en face de moi, les jambes écartées, les doigts de rappeur, il m'a sorti sont plus beau "salut mademoiselle, comment ça va". Je lui ai répondu "bien et toi, comment tu vas?" il est resté con. Il a rien dit pendant quelques secondes. Puis, touché : "c'est la première fois qu'une demoiselle que j'aborde me demande comment je vais".
      C'est triste quand même, non?
      Je veux dire, dans les deux sens.

      C'est déjà arrivé qu'on m'interpelle comme ça : "Vous êtes bien jolie mademoiselle! Mais vous seriez encore plus jolie avec le sourire." ça me remet un peu en place. Je me dis qu'ils ont raison. On ne devrait jamais arrêter de sourire, peu importe les contextes sociaux...

      Supprimer

Du temps à tuer?