jeudi 6 février 2014

On joue aussi avec les coeurs dans les cours de récré

Je me souviens, en maternelle, assis aléatoirement autour des tables de cantine, ils faisaient ce signe avec le majeur et l'index, une barre et un pont qui ressemblaient assemblés à un escargot, ça voulait dire qu'on était amis. Et si le petit pont venait à croiser la barre, ça voulait dire qu'on ne l'était pas. C'était ce garçon mignon qui nous l'expliquait. Ils rigolaient entre eux, se montrant chacun hasardeusement des petits escargots et des petites croix et moi je regardais ça les yeux ronds, n'osant pas articuler mes mains, de peur de trahir mes sentiments et ma personne. Ce devait être une des premières interactions avec un garçon dont je parviens à me remémorer. J'avais trois ou quatre ans et déjà le béguin qui dégaine plus vite que son ombre.

Bon, ces histoires d'escargots ça n'a pas duré plus d'un jour. Il était une classe au dessus de moi et on m'avait mise seule à cette table de grands pour remplir les rangs. Preuve que je n'avais déjà pas d'amis à l'époque...

Quand je fais le point sur ces débuts à l'école et les prémices, les essais d'un fonctionnement de groupe, je me rends compte que c'était vachement éclectique et éclaté, le rapport avec l'autre. On n'était pas défini, et à la fois si, un peu. On voyait bien qu'il y avait des enfants naturellement méchants. D'autres, naturellement charismatiques. D'autres naturellement suiveurs. Des rêveurs, des agités. En avance ou en retard sur leur âge. On en avait déjà conscience, même tout gamin.

J'ai du mal à comprendre quelle place m'était attribuée dans ce groupe.

D'une part, on m'embêtait.
Dans ma classe, il y avait ces deux enfants qui barbouillaient de noir mes coloriages et ensuite appelaient la maîtresse qui me grondait. Dans la cour, des garçons que je ne connaissais pas qui jetaient mon doudou à travers la grille des égouts. Je ne comprenais pas le but de tout ça. Je ne comprenais pas l'utilité de nuire à autrui. Et ce qui m'a le plus marqué, ça a été vraiment, malgré toutes mes interrogations, de ne pas comprendre.

De l'autre côté, j'étais une poupée pour les grands. Il y en avait une qui se prenait pour ma mère, qui me forçait à m'habiller, me boutonner jusqu'au cou, me mettre le manteau pour que je n'attrape pas froid, elle était balèze et me retenait avec elle pendant la récré ce n'était pas amusant du tout.

Je me sentais l'obligation de sauver les opprimés de la cour. Je réservais un peu de mon temps pour jouer avec ceux qui n'avaient pas de camarades, parfois même un peu à contre cœur. Pourtant, personne ne m'en avait jamais donné l'ordre. Parfois, c'était simplement la curiosité d'apprendre à connaître ceux qui étaient différents des autres.

Il m'arrivait aussi d'enrôler des enfants pas difficiles dans des grandes épopées que j'inventais le temps de la pause déjeuner, avec des cartes que je dessinais à la craie au sol ou encore des objets magiques confectionnés à la va vite. En général, j'étais insatiable même si certains se fatiguaient vite.
J'inventais aussi des jeux plus simples avec les éléments de la cour, accessibles à tous. Il y avait le jeu du crocodile et celui de la maladie. Des jeux qui se sont répandus dans les autres classes et perpétués auprès de la nouvelle génération. Des jeux qui ont eu une vie après mon départ. Ma grande fierté d'écolière.
Peut-être y joue-t-on encore aujourd'hui, qui sait?

A part ça, j'avais des copines géniales pleines de ressources. Ma meilleure amie était la fille la plus populaire, la plus drôle, la plus intelligente de la moyenne classe et celle qui est restée le moins longtemps scolarisée dans cette école (évidemment). J'avais des copines imaginatives, créatives et qui aiment l'amour. On avait toujours de quoi se renouveler.

J'étais amoureuse du play-boy de la classe. Comme toutes. Il avait genre une foule de groupies en orbite autour de lui à chaque fois qu'il se déplaçait. C'était ma vision de très jeune fille de l'inaccessible. Alors quand nos deux planètes venaient à entrer dans leur champ magnétique respectif, je me débrouillais toujours pour lui voler un baiser sur la joue. Un jour il m'a coincée dans la bibliothèque de la grande classe pour me demander pourquoi fallait-il à chaque fois que je l'embrasse par surprise, comme ça.
-"C'est parce que je t'aime!"
Tellement simple.
Quand on est retourné à notre place, les autres élèves autour de la table nous ont demandé si nous allions nous marier, bien qu'on s'était gardé de leur avouer quoi que ce soit. Lui s'est empressé de démentir :
-"Non, bien sur que non! On ne peut pas se marier si vite! Il faut attendre encore un peu avant d'être sûrs."
Je sens encore mon cœur faire ses petits bons dans ma petite poitrine.

Bien qu'après toutes ces déclarations, aucune fille ne le lâchait d'une semelle, j'ai pensé qu'il avait fait la même promesse à toutes. Et comme elles se targuaient devant lui d'être de merveilleuses femmes au foyer alors que je ne savais ni plier mes habits moi-même, ni faire mes lacets correctement, encore moins me faire cuire un œuf, j'ai cru qu'elles et moi on ne jouait pas dans la même cour.

Prise d'un complexe d'infériorité, je suis allée me trouver un amant.

Peter. Il avait un parent anglais et était arrivé en milieu d'année. Quand il m'interrogeait sur le pourquoi, pourquoi d'un coup je m'étais mise à le coller, je répondais que c'était parce que j'avais le coeur brisé, et qu'il fallait que je me trouve un remplaçant pour oublier.
Ah, la lucidité infantile....
Je crois que je voulais provoquer mon amoureux, aussi.
DTR. Define The Relationship, qu'ils disent dans les séries girly.
Bah moi, à cinq ans, je voulais ça. Définir concrètement mes relations avec autrui.

A la fin de l'année, la dernière en maternelle, il m'a littéralement coincée contre un mur prendre son courage à deux mains pour me poser la question, à savoir pourquoi je l'avais ignoré depuis des mois. Je lui ai parlé de toutes celles qui lui tournaient autour, et qu'il n'avait pas besoin de moi, puisqu'il pouvait choisir parmi la classe entière. Il m'a répondu qu'une seule lui plaisait. Et que si j'étais sage, avant la fin de l'année, il me dirait son nom.

Apparemment, je n'ai jamais été assez sage.

J'ai eu ma résolution d'histoire six ans plus tard, lorsqu'à la rentrée du collège j'ai surpris un groupe de filles parler de lui. Elles se plaignaient qu'à l'époque, il n'avait pas voulu être avec elles. Qu'il ne voulait être qu'avec Anne O. Et quand on souhaitait savoir pourquoi, il disait :
-"C'est parce qu'elle, elle joue avec moi."

Je jouais avec lui.
Ça n'a tellement plus la même définition aujourd'hui.

J'ai pensé que ce prénom qu'il devait me donner, c'était peut-être le mien.
Mais bien qu'il fut à nouveau dans le même établissement que moi au collège, je n'ai jamais osé aller le lui demander.
Franchement, la timidité c'est mignon trois minutes.

Par le plus grand des hasards, dans une autre ville, j'ai retrouvé son nom sur la liste des invitations d'un festival étudiant que ma section organisait et dans lequel j'interprétais mes chansons, un de mes premiers concerts en plein air. Un de mes premiers concerts solo. Je me souviens, il avait plu pendant les balances. J'avais demandé à la personne qui l'avait invité si elle pouvait me prévenir de sa présence le moment opportun. Et lorsque l'instant est arrivé, j'ai accouru vers lui m'exclamant :
-"Tu te souviens de moi, je suis ton amoureuse de maternelle!"
Et voilà. Une fois qu'il m'a dit oui, j'avais l'air con. Parce que c'est tout ce que j'avais à lui dire et qu'il n'était pas tout seul.

Mais derrière mon piano, entre deux accords, je l'ai aperçu tout au fond qui souriait.

Il y a des romances qui subsistent parce qu'elles sont si anciennes qu'elles semblent couler dans nos veines, ancrées dans notre patrimoine génétique. Comme si elles avaient toujours été là et grandi avec nous.
C'était pas grand chose pourtant.
Des histoires d'enfant.

Mais si j'avais son mail aujourd'hui, je pense que je lui écrirais.


Toujours un coin qui me rappelle by Eddy Mitchell on Grooveshark

2 commentaires:

  1. Très jolie histoire, merci. Finalement on ne fait que ça toute notre vie, chercher l'amour, ça commence si jeune, je m'en souviens aussi. De ce Pascal qui me plaisait parce qu'il était le premier de la classe et qu'il avait des lunettes très épaisses (je trouvais ça charmant). Mais bien sûr il aimait ma copine Julia, sinon, c'est pas marrant ! ;)

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    1. Du plus loin que remontent mes souvenirs, j'ai effectivement cherché l'amour. Après, chercher l'amour, c'est un vaste sujet. Peut-être que mon erreur était de penser que j'allais le trouver en l'autre. Enfin, ce serait probablement l'objet d'un tout autre article.

      Ce pauvre Pascal qui a dû se faire complètement pourrir au collège! Comme quoi, gamin, on n'a pas forcément les mêmes critères de beauté! (quoique, tu es peut-être une fétichiste des lunettes, qu'en sais-je) ;)

      En tout cas ce qui est sûr, c'est que les penchants pour se compliquer la vie, ça arrive tout jeune. Je me rappelle de lui qui aimait elle alors qu'elle elle aimait l'autre, ou encore de lui qui aimait elle et elle et elle mais pas elle, je me rappelle des classements que les garçons faisaient de leurs dizaines d'amoureuses. Nous les filles ont préférait aimer le même en secret, ça soudait les amitiés. Enfin, tant qu'on n'arrivait jamais à nos fins ensemble.

      J'aime bien l'ambiance de ces petites histoires d'enfants! J'en aurais encore quelques unes à raconter, mais la première, elle garde toujours une place particulière.

      Merci d'être passée!

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Du temps à tuer?