dimanche 28 septembre 2014

Les madones et leurs blonds bambini

24/09/14, 14h18
Les gens parlent cette langue qui chante autour de moi.
J'ai cru, il y a bien trois ans, parvenir à en cerner les prémices. Mais aujourd'hui je me fais bien embrouiller quand il s'agit de commandes et je n'ai pas tant de jours que ça devant moi pour ne plus me faire avoir comme une bleue.
Des petites boucles blondes à l'accent à croquer.
Elles me pointent du doigt, m'appellent signorina mais je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elles me racontent.
C'est frustrant, assez.
Je suis au parc. Indro Montanelli.
En face de la fontaine, et de cette grande bâtisse qui ne porte pas de nom sur Google Maps.
Je reconnais les lieux, même si je ne les ai physiquement jamais traversés.
C'est parce que tout se ressemble?
Ou bien que mes visites se font en rêve?
Je trouve les artères principales et les rues beaucoup trop grandes pour une ville italienne.
Puisque c'est comme ça, je pars en quête d'une gelateria.
17h44
Seule à la Pinacoteca  di Brera.
La ventilation pour unique amie, ou en tout cas, un bourdon qui y ressemble.
Je ne sais pas quand ce dédale prendra fin.
Déjà plus de trois heures que je déambule.
Tombée amoureuse de Cima, Bellini, Crivelli.
Hayez.

samedi 27 septembre 2014

Changer d'égard

23/09/14, 20h55
Piazza del Duomo.
Les pirouettes lumineuses qui s'élancent jusqu'aux pointes de la cathédrale font de bien originaux feux d'artifices.
Il manque quelque chose, quand même.
Il manque toi.
A quoi ça sert, tous ces magnifiques paysages urbains, si t'es pas là à côté de moi pour en perdre les mots ensemble? Pour se poser sur les marches un instant, comater. Comme de gros oreillers mutuels.
J'ai froid.
C'est beau.
Un murmure à l'abandon. Une extase sourde et solitaire.
Ce n'est peut-être plus de mon âge, les voyages esseulés.

jeudi 25 septembre 2014

Changer de gare

23/09/2014, 15h00
On pourra dire ce qu'on veut, l'Italie c'est quand même quelque chose.
Premier jour d'automne, je suis dans un train. Les sommets défilent, c'est un chemin qui m'est étranger.
Je m'y rends toujours dans ces eaux là. Je crois que c'est parce qu'il me faut bien tout l'été pour me décider.
Pour me résoudre à partir seule.
J'ai 150€ en poche.
Une de mes activités préférées? Déambuler. Anonyme dans la ville.
A la recherche d'un son, d'une odeur, d'une couleur. D'un fragment de chez soi dans le cœur.
Je ne peux pas lutter contre l'appel romain.
Hâte de m'y perdre. Et de me retrouver. Me ressourcer dans la surprise de l'instant.
Ça faisait au moins trois ans.
Et tous les ans, je rêvais de repartir. Plus forcément pour un ailleurs. Mais pour là-bas.
Stazione Bardonecchia.
Et la suivante?
16h35
 Milano. Panini Durini.
Je me sens amoureuse.
Mais d'un peu tout le monde à la fois.
Les italiens sont choupinets. Craquounous.
Et déjà se prendre en pleine poire de larges sourires ravageurs.
Sentiment de liberté conquise, là, à nos pieds.
Marcher.
Des heures, d'une foulée lointaine.
Se laisser faire. Les feux rouges virer au vert.
Les piétons ont les mêmes feux de circulation que les véhicules à moteur, et les cyclistes traversent au passage clouté. Au début c'est assez déroutant, à ne plus savoir où regarder, où se placer dans le trafic.
Je me sens bêta, le genre de gentille fille à qui il faut lentement lui expliquer comment ça fonctionne, la vie.
C'est plutôt inédit.
Ou disons ancien, au point de ne pas récupérer en sa mémoire de frais souvenirs.
Milano. Enchantée de te retrouver.

lundi 22 septembre 2014

Cruel timing

Exorciser encore.

Après toutes ces déclarations déversées dans le blanc de tes yeux, nous nous sommes mis à longer le canal. Doucement. Nous nous sommes légèrement perdus aussi. Mais c'est un peu pareil à chaque fois.

Nous avons marché longtemps, comme à notre jeune habitude. Une satisfaction sourde, la réalisation de mes desseins romanesques. Le bruit des voitures commençant sérieusement à nous agresser les tympans, nous nous sommes posés à l'ombre d'un parc, comme tant d'autres. Tu m'as tout raconté. Et pendant ce temps là, je t'ai dévoré du regard. On a rarement une telle occasion de dévisager d'aussi près son idole de la sorte.

Je comprends enfin la tristesse dans tes yeux. Ton corps d'enfant. Ton sourire frileux et ton dos vouté. Je comprends ton faux optimisme qui ressemblait davantage à de l'indifférence par défaut. Ta solitude, ta timidité, ton incapacité à faire un choix. Ta blessure d'abandon. Ca me saute à la gueule maintenant, dans chacune de tes photos. Moi qui étais subjuguée par ton charme et ta beauté, je passais bêtement à côté de tout le reste. Pardon. Tellement pardon.

Tu m'as tout confié. Tu avais sans doute besoin de t'épancher quelque part. En vue du poids de ces secrets là, je compatis. A ton histoire, à ton parcours. Ton complexe, moi qui le pensais surjoué pour la passion du drame et de la séduction, n'est peut-être pas si factice. Peut-être même que tu es sincère.

J'avais envie de faire pipi, tu avais froid. Bien qu'à deux reprises, tu t'es dit que ce serait une bonne chose que tu rentres seul pour écrire, tu m'as proposé de t'accompagner chez toi. Feux d'artifices en mon crâne. Découvrir ton intérieur. Mes rêves en orbite, qui bientôt planteront leur drapeau sur le flanc de la réalité. J'enlève mes chaussures sur ton canapé. Des disques partout, empilés sur eux-mêmes. Tu entames un défilé musical. Je réussis même à te faire chanter avec ta guitare des bribes de nouvelles chansons. Ça sent la dépression. Tu me feras écouter tes artistes préférés. Tu danseras aussi. Nous fredonnerons ensemble, des improvisations ragtimesque. Tu me liras Léonard Cohen. Je t'aimerai comme avant, dans un lointain souvenir. Et quelques heures après, les albums commençant à s'épuiser, les métros aussi, je déciderai de rentrer. Tu ne me proposeras pas de rester chez toi dormir. Tu t'inquièteras seulement de mon moyen de retrouver le chemin.

Et, nos pas s'entassant dans le couloir de l'entrée, après les deux bises de convenance, tu reviendras m'embrasser. Je perdrai pieds, un peu, en m'enfuyant dans la cage d'escalier. Tu me demanderas plus tard si cela m'a mise mal à l'aise. Je te répondrai que non, que ça m'a juste éveillée à des désirs enfouis, des envies de te pétrir très fort.

- Mais tu ne l'as pas fait.
- Apparemment non.
- Je n'insisterai pas, alors.

On parlera brièvement de mon mec extra, tu te féliciteras de n'avoir eu à attrister personne. Et moi, je resterai seule sur ma faim, me mordillant les lèvres derrière mon écran de téléphone.

- Les actes manqués de timing... C'est pas comme si je l'avais envisagé depuis quatre ans...
- Tu relieras sûrement ça à quelque chose...

samedi 20 septembre 2014

Tant pis pour nous, alors

Je relis de vieux textes à moi.

"J’aurais voulu au moins une fois que l’on fredonne à deux, sur les quais de la Seine, ça aurait pu être un air à toi, ou à d’autres, on aurait marché ensemble, j’aurais aimé te prendre la main. Mais c’est inutile. Je dois cesser de m’agripper à ton image, mon prince de l’amour au romantisme discret. J’aurais été ta Lara Croft toi mon beau mon fort mon Shaft. Je ne suis que celle qui s’imagine mille contextes pour une seule fin improbable."

Si j'avais su, à l'époque. Si j'avais eu la possibilité de voir mes souhaits se réaliser.
Aujourd'hui, je suis une autre personne.
Le genre de paroxysme qui n'atteint plus sa cible.

Mon idole de chanteur, s'il savait le nombre de fois où je l'ai quitté dans mon imaginaire. Où j'ai vécu des ruptures de raison, et des deuils de son absence. S'il savait la violence des claques que je m'assénais pour faire un pas, aller à sa rencontre, et les autres, pour partir. Pour l'oublier une dernière fois. A chaque fois.
Pour vivre dans l'échec de cette impossible idylle. Malgré les signes, les correspondances, les hasards, malgré les rêves qui peuplaient ma mémoire.

Hier, c'était salvateur. Et minable.
Le voir dans un tel état de déperdition amoureuse. J'aurais pu le prédire, en vue de notre dernière rencontre. Mais le sentir si triste, presque inconsolable, je n'ai pas eu envie de rire de lui. C'est un mal-être très intérieur, même s'il en parle. Qui devait arriver. A force de jouer. Première fois qu'il est tout seul. Mais il s'en réjouit :

- Ca tombe bien, aucune fille ne me plait! Et celles qui peuvent me plaire, je ne les intéresse pas...

Je reste perplexe face à ce genre de discours, qu'il m'a déjà sorti plus d'une fois.

- Tu vois V., le chanteur de mercredi soir? Toi même tu dis qu'il dégage quelque chose de très séduisant. Eh bien, toi l'idole de chanteur, c'est pareil.
- Ca n'a rien à voir! V. est un tombeur, il a eu des centaines de nanas, elles grappillent toutes autour de lui à la fin de ses concerts! Alors que moi, à chaque fois, je rentre seul. Même mes musiciens se font draguer à ma place!
- Mais tu vois bien, quand-même, elles sont toutes amoureuses! Les hommes aussi, ils sont tous amoureux de toi! Tu dégages un truc, une sorte d’appât qui crie "aime-moi"...
- Tu dois exagérer. Pourquoi alors personne ne vient me parler? Moi je ne sais pas draguer, et les filles ne viennent pas vers moi.
- Elles se sentent surement la millième de plus sur la liste d'attente. A chaque fois que je parle de toi à quelqu'un qui te connait il me dit "ah lui? j'en ai déjà entendu parler, j'avais des amies qui en étaient complètement amoureuses"...
- Je ne sais pas, ce n'est pas la première fois qu'on me le dit. Mais en moi, j'ai l'impression que je n'ai rien pour plaire à quelqu'un. Quand j'en causais à V. il se foutait de moi, il pensait que je lui racontais des salades. Mais avec le temps il a compris que je n'avais pas de raison de lui mentir, je me sens vraiment comme ça. Je suis très perspicace quand il s'agit d'autrui mais quand il s'agit de moi, je ne pige rien.
- Regarde-toi déjà, tu es aussi beau que V., et tu as autant de succès dans le public, crois-moi! Tu me plais même à moi!
- Ah bon?
- Quoi, tu ne vas pas dire que tu ne l'avais pas remarqué. Ça fait quatre ans que je te tourne autour!
- Mais non, je n'ai rien vu!
- Toutes les fois où je suis venue...je t'ai écrit des tonnes de lettres, j'ai fait des reprises de tes chansons...
- D'autres aussi ont fait des reprises de mes chansons....
- Sauf que je n'en ai pas fait une, mais six que je t'ai envoyées! Faut être un peu toquée quand même...
- Mais Anne, t'aurais dû me le dire! T'aurais dû venir me parler!
- Tu vois pas que j'étais complètement paralysée en ta présence? J'arrivais pas à aligner deux phrases correctes. Je n'arrivais pas à manger quand t'étais là, d'ailleurs, je préférais m'enfuir plutôt que d'être dans la même pièce que toi, tellement l'air en devenait irrespirable.... J'ai essayé pourtant de te dire, de t'amener mon coeur, mes sentiments de façon détournée, je pensais que c'était flagrant, que tu avais deviné depuis longtemps, que tu t'en fichais...eh bien, tant pis pour moi.
- Non, tant pis pour moi!

- Tant pis pour nous, alors...

Il m'a embrassée

J'ai jamais mangé un sandwich si dégueulasse.
Est-ce parce qu'il est vraiment mauvais, ou parce que je n'arrive à rien avaler depuis que mes pieds ont quitté son appartement?

Il m'a embrassée.
Mon idole de chanteur.
Il m'a embrassée.

Sur le pallier de la porte, après les deux bises d'au revoir, il a posé ses lèvres sur les miennes. Je les ai vues arriver au ralenti. J'ai à peine eu le temps de maugréer un "noooon" de dépit, que ma main lui agrippait déjà les reins pour le coller à moi. Je me suis enfuie dans la cage d'escalier. Il m'a lancée :

- C'était si grave que ça?
- C'est que...je ne vais plus avoir envie de partir après...

Mais il le fallait.
Même si j'attendais ça depuis quatre ans.
Même si j'espérais plus.
Il le fallait, parce que chez moi, il y a un homme extra qui m'attend.
Quelle merde, les actes manqués de timing!

J'avoue, j'ai eu envie de lui attraper les cheveux. J'ai eu envie d'essayer, pour toutes les fois où j'avais ressassé en mon ventre mes films romanesques. Inlassablement, mes rêves de prince charmant et lui dans le rôle principal. Et ses chansons, en boucle. Sous toutes les coutures, toutes les déclinaisons. Je l'ai aimé en secret si longtemps et je pensais pourtant que ça crevait les yeux. Mais il n'avait pas vu, et j'en restais bouche bée.


[à suivre...?]

vendredi 19 septembre 2014

Entre quatre yeux et un bouquet champêtre

- C'est une bien jolie table que tu as là.

Les deux mains de cette idole de chanteur appuyées sur celle-ci, face à moi, les yeux rivés.
Il renchérit :

- Et sinon, tu chantes?
Regard écarquillé.
- Bah....hmm....ouuui...?
Il rit.
- Je veux dire, tu fais des concerts en ce moment?
- Ça m'arrive.
- J'aimerais bien venir t'écouter chanter.

C'est mon idole de chanteur.
De sa bouche, entendre qu'il aimerait venir à un de mes concerts.
C'est le monde à l'envers?
Moi qui me suis tapie dans son public une bonne dizaine de fois, dans quelques recoins de France...
Je crois rêver. Je lui demande :

- Tu es libre en journée?
Il me répond par adverbes, en hochant de la tête vivement :
- Complètement, je suis complètement libre!
- On se voit alors?
- Mais carrément!

Ça a l'air si simple. Alors qu'avant. Avant.
2010.
Déjà...
Je chiais dans mon froc.
T'arrivais devant moi, je partais en courant.
On se regardait dans le blanc des yeux pendant des minutes entières et ce n'était pas un ange qui passait, c'était un élevage non, un troupeau. Le soir, quand je rentrais pleine de remords, je t'écrivais des lettres envolées. C'était ridicule. Qu'est-ce que j'en ai couchées, des déclarations perdues dans l'amer, les échecs de ces pas qui ne se faisaient pas, pétrifiés par ma gaucherie. Ma conviction que je ne pouvais pas t'intéresser, toi le beau, l'inspiré, le solitaire, le poète romantique plein de sarcasmes, de folie et moi, la groupie transie.

Un premier rendez-vous manqué à l'aube d'un train qui est arrivé à l'heure.
J'ai mis trois ans avant d'oser te renvoyer l'invitation.
Rappelle-toi, le cœur sur l'estomac, j'en ai vomi d'incertitude juste avant notre première rencontre en tête à tête. A t'asséner sans cesse des vents minables, parce que j'y croyais pas moi-même. A tout ça. A ce truc.
Aujourd'hui, je suis quand même bien contente de ne jamais t'avoir cédé qu'un seul baiser dans le cou.

Parce que bon.

C'est beau les rêves. Mais le vide de l'irréel, ça nourrit pas son homme.
Franchement, tu m'as rendue malade.
Malade d'amour.
Tu m'as rendue inconsistante, faiblarde, complexée. Si petite en ta présence.
Avoir pu te parler hier comme à quelqu'un de normal, si tu savais.
A quel point c'est une respiration.
Une victoire sur mes doutes.

Et demain, près du canal de l'Ourcq...
Je suis à Paris...

mardi 16 septembre 2014

Une attirance humaine

L'amour rend-il aveugle au point de ne pas voir qu'on est même amoureux? Qu'il est là, juste là. En face, gros comme le nez au milieu de la figure, cet homme qu'on attendait.

Quand j'explique que cette relation est assez particulière, on me répond "mais Anne, avec toi c'est particulier à chaque fois". Alors oui, ma crédibilité se perd dans les méandres de mes histoires particulières. J'y peux rien. Si je fais pas ça de la plus commune des manières. Si les personnages sont étranges. Je ne les choisis pas pour ce critère. En réalité, je ne les choisis pas. Je les sens. Dans un premier regard, je les sonde. Ça me remue ou pas.

S'il te plait viens danser, près de la scène il s'était avancé, seul, contre les barrières. Il était là alors je l'ai fixé lui. Pendant longtemps. Les vers de la chanson. Troublant, à quel point ils étaient une invitation. J'ai senti une profondeur, détourné les yeux par pudeur. Ça ne m'a pas remué les tripes. Ça m'a remué le coeur. Et c'était cette chose là qu'il m'était difficile d'admettre. La différence d'origine. Avec lui, je ne vibrais pas par les sens, par tous mes pores. Je n'étais pas cette sauvage de l'amour, à l'attirance tribale, animale. J'étais touchée, je vibrais d'émotions, en résonance, d'une attirance humaine. Fondamentalement humaine.

Peut-être qu'il était nécessaire, ce détour.
Pour me rappeler où j'allais, et d'où je venais.
Peut-être qu'il me fallait encore une fois réévaluer mes souhaits et mes objectifs.
Qui sait.

Quand je vois la tournure que prend ma vie sentimentale en si peu de temps et tous les cadeaux qui jonchent ma route, je me dis que devant moi, juste devant, il y a un petit poucet qui sème. L'amour rend-il aveugle au point de ne pas déceler cet essentiel qui se trame sous nos yeux, se délie sous nos pas?

jeudi 11 septembre 2014

Petite leçon de savoir vivre

Une heure du matin.
Ma rue est déserte.
Deux hommes sont assis sur le palier voisin de mon immeuble. Un troisième est debout à discuter, short, torse nu.
Je descends du trottoir, assez étroit, je n'ai pas envie de les traverser.
Ils se tournent vers moi, m'observant avancer.
Arrivée à leur niveau, je les salue, leur disant bonsoir.
Les ayant à peine dépassé, j'entends balancer derrière moi, la voix glauque de circonstance :

- Tu sens la peur...

Sous-entendu : le danger qui te guette, tu l'as senti toi aussi?
Je ralentis, me tourne vers eux.
Fais ma plus belle tête incrédule. La bouche ouverte, les grands yeux ronds, les sourcils relevés.
Pas de chance, je m'arrête à la porte à côté, les fixer de la sorte, ma clef entre les mains.

- Non mais, je rigolais...

Se justifie l'un devant mon silence hébété, les mains ouvertes en guise d'amendement.

- Aaaaah! Parce que bon, balancer comme ça, "tu sens la peur" - le caricaturais-je en imitant sa voix - à une nana, en plein milieu de la nuit, la rue complètement déserte, c'est assez.....bizarre....comme blague, tu avoueras!

Les deux autres riaient à gorge déployée, je crois qu'ils ne se moquaient pas de moi, mais plutôt de leur compère tout penaud qui venait de se prendre une espèce de râteau qu'il n'avait pas anticipé.
Je leur ai souhaité une bonne soirée avant de passer le pas de la porte et cette fois, ils m'ont rendu la politesse.

Y'en a assez d'être flippés de la vie tout le temps comme ça.
Et s'il y en a qui contribuent à foutre le malaise jusque devant chez soi, faut pas se priver d'ouvrir sa bouche. Leur signifier que non, c'est pas normal, voire déplacé. Ce genre de phrases, dans ce genre de contextes.

La dernière fois, en pleine nuit aussi, un mec qui pissait sur une poubelle devant moi a croisé mon regard dans la rue. En remontant sa braguette il m'a dit en s'appliquant "bonsoir, tu es très jolie", j'ai incliné la tête en guise de courtoisie et tracé ma route. Il n'a pas vu le subtil geste, il était bourré. Du coup, il s'est senti vexé et continuait à s'exprimer derrière moi, en boucle, tout en me suivant sur quelques mètres :

- Oh, c'est pas gentil de pas répondre! T'es peut-être jolie mais t'es pas sympa!

Je me suis retenue de revenir sur mes pas parce que je n'avais pas tellement le temps, ni l'énergie d'ailleurs, mais si je l'avais fait, je lui aurais sûrement répondu ça :

- C'est pas tellement le fait que tu m'abordes qui me fait tracer sans me retourner. C'est que tu oses venir me parler alors que tu viens de pisser sur une poubelle juste devant moi, que t'as les mains qui viennent de t'égoutter le gland et que tu pues l'alcool, mais à quel point j'ai pas envie que tu m'approches! Je sais pas, ça te vient pas à l'esprit que c'est pas des choses qui se font, ça? Que c'est irrespectueux au possible pour celle que t'as en face? Qu'une fille qui rentre à pied seule le soir, le dernier truc dont elle a envie, c'est qu'un mec la suive pour lui taper la discute maintenant, juste maintenant? Et en plus bourré, et crade? Et tu espères vraiment qu'en retour de ce que tu m'offres, je vais être sympa avec toi? Je dis pas, en journée, dans d'autres circonstances, je t'aurais sûrement remercié pour ton gentil compliment. Mais là, c'est toi l'outré? C'est toi qui trouves ça pas sympa, irrévérencieux? Mais c'est à moi que tu manques de respect. Je ne suis pas le papier-cul sur lequel tu viens t'essuyer une fois que tu t'es soulagé, et ça, c'est le minimum du savoir vivre.

Bordel.

mercredi 10 septembre 2014

Retrouver l'enfant

Les rêves me laissent une telle marque, les yeux grands ouverts...
Une sensation assez féroce, et pas furtive.
Des réflexions, une envie de recherche. Un mythe à démêler. Un secret.

Cette nuit dans mon sommeil, je croisais une petite fille blonde en bas de la rue, de cet appartement où j'ai grandi moi-même. Elle était seule à jouer au soleil, courant sur le béton d'un trottoir à un autre. Le quartier était silencieux, les habitations paisibles. Je crus la reconnaitre. Je pris quelques instants pour m'amuser avec elle, elle répondait par énigmes. A la fin de notre entrevue, touchée par sa beauté et sa pureté d'enfant, je lui donnais un livre de son âge, que j'avais je ne sais pas pourquoi, emporté avec moi. Elle était ravie, le sourire jusque là. Et comme un geste qui tombait sous le sens, elle me tendit le sien. Je regardais ces pages cartonnées, le ciel bleu et les nuages simplifiés, comme dans les images à colorier et le titre, en majuscules, dont la première syllabe m'échappe : DALOUAI, VALOUAI, RALOUAI... Ca me parlait, j'avais déjà lu ce mot inventé quelque part dans un bouquin intellectuel pour adultes, chaque lettre composant l'acronyme d'un état chronologique d'évolution personnelle. Je savais aussi qu'une des dernières lettres formant le OUAI était erronée, selon certains courants de pensée. Et alors que je tenais son livre entre mes mains, tentant de déceler l'ultime énigme qu'elle m'avait posée, la fillette partait en sautillant dans une autre rue, toute excitée, sûrement pour montrer son beau cadeau à sa mère, m'étais-je dit. Je ne la revis plus, mais au delà de son présent, elle m'avait également laissé le sourire aux lèvres.

Le rêve continue. Il est riche. Je croise mon idole de chanteur. Il semble désormais fréquenter mon quartier, mes commerces de proximité. Soit il a déménagé de la capitale pour vivre ici par tous les hasards, soit il me suit. Étrange. Au début, je l'évite un peu. Je finis par l'inviter. Après tout, maintenant qu'il est là, tous les jours, je ne peux plus passer à côté. On se donne rendez-vous dans la soirée, comme il termine après moi et qu'il ne connait pas trop l'endroit, je le devance pour choisir le restaurant. Je marche seule dans des contrées que je n'avais plus foulées depuis longtemps. Je me sens nostalgique, un peu déconnectée. Si bien qu'à un croisement, je me trompe d'embronchement. Je m'en rends compte une fois que j'ai bien avancé. Je me dis qu'il sera peut-être plus facile de trouver un resto sympa par ici, mais que ça fait peut-être un peu trop loin à pied pour lui, et qu'il ne m'attend pas dans ce coin là. Je reviens sur mes pas. Tourne à gauche cette fois.

Les petites terrasses traditionnelles commencent à empiéter sur les trottoirs. J'adore ça. Un quartier complètement fictionnel de mon enfance, mais dans lequel je m'y sens comme chez moi. Les passages entre les tables se font étroits. Je bouscule une dame d'environ mon âge, on s'excuse mutuellement. Il m'a semblé qu'on voulait s'asseoir à la même table. Par politesse, on s'arrange un peu, réussissant à faire un compromis. Nous sommes voisines de tablées. Je crois la reconnaître. En fait, j'en suis sûre. C'est elle. (même si pas vraiment) Et la bouclette blonde de gamine que j'ai rencontrée un peu avant, c'est la sienne. Je souris complètement désormais. Je connais par cœur leurs frimousses, mais pour elles, je ne suis qu'une lectrice inconnue sans visage.

Nous attendons toutes deux quelqu'un. Je ne peux m'empêcher de lui adresser la parole, commençant à lui raconter mon apparition de ce matin, comme une cerise sur le gâteau de ma journée dès le soleil levé, et la boucle qui se boucle avec elle en face de moi, la mama, la génitrice de ce bout de chou angélique et adorable. Je lui raconte le livre que sa petite m'a gracieusement offert, et celui qu'elle a reçu en échange, qu'elle a dû s'empresser de lui montrer, comme je me l'étais imaginé lorsqu'elle avait disparu dans l'angle de la prochaine rue sans me lancer d'au revoir. Je vois sa mère changer d'expression au fur et à mesure de mon histoire, dépitée, ne réussir qu'à me sortir :

- Je l'ai perdue...

En guise de conclusion à mon récit joyeux.
Je reste sans voix. Ils ne la retrouvent pas, ne savent pas où elle est. Elle m'annonce cela avec désespoir, comme si elle avait déjà baissé les bras. Trop cherché en vain. Et qu'elle ne voulait plus aborder le sujet, parce que ça la rendait triste. Qu'elle voulait continuer à vivre, en attendant que les autorités la retrouve, sans s'apitoyer sur son sort, s'imaginer le pire, se culpabiliser à outrance.
Je réalise alors que cette petite puce qui courait en bas de chez moi n'avait déjà plus nulle part où aller lorsque nous avions échangé quelques mots. Et moi qui pensais qu'elle allait rejoindre sa maman, toute excitée par son cadeau. Elle n'allait rejoindre personne. Elle voguait juste avec le vent et les aléas. Sans destination. Mais sans perdre le sourire et le pétillement qui fait le propre des yeux d'une enfant.

J'ai pensé qu'elle n'était pas si perdue, puisqu'elle se baladait dans le coin. Que ce n'était pas si vain. Qu'ils la récupèreraient bientôt. En tout cas, je l'ai souhaité très fort. Mon idole de chanteur est arrivé, s'est assis en face de moi. Nous avons continué la discussion entre tables interposées, malgré nos convives respectives. Il s'est un peu ennuyé, je crois. Puis le rêve s'est poursuivi, sur d'autres chemins, d'autres perspectives...