dimanche 7 décembre 2014

Le gouffre du néant

Drôle de rêve eu entre deux eaux.
Dans ces passages délicats où la conscience retrouve peu à peu son esprit, il est parfois possible de choisir de modifier le songe avant le réveil. Mais ce matin là, il était davantage question de déployer ce processus dans la vie même. Dans le songe.
Confus, n'est-ce pas?

Ça l'était pas tellement pourtant, à la base.
Un rêve de grands voyages, de fêtes jusqu'à point d'heure.
Dans une immense maison, bien rangée à l'américaine, des parties endiablées. Mon mec extra et moi on prend le matelas et on va se caler dehors, sur la pelouse de l'entrée, dormir à la belle étoile. Il y avait quelqu'un d'autre, nous étions trois. Un garçon sympa que j'aimais beaucoup aussi. Regardant mon mec extra faire la maintenance de ce grand festival de hippies, je racontais à ce dernier à quel point je trouvais mon amoureux craquant et fabuleux. Nous faisions des grandes distances tous les trois, nous déplaçant pratiquement par la pensée. C'était si facile, la vie aisée.


Je suis réveillée par les doux baisers de mon mec extra qui s'en va travailler.
Après un instant de tendresse, je me rendors.

Les voyages continuent en groupe, à travers les époques et les contrées. Une ambiance peace, avec des fleurs dans les cheveux. Un peu comédie musicale, à la HAIR. Je suis tombée amoureuse d'un bel inconnu, il s'appelle John. Notre histoire est neuve et teintée d'une intensité et d'une fraicheur presque irréaliste. Un amour onirique, en somme. Nous marchons beaucoup, nous célébrons chaque instant comme l'instant présent. Avec le groupe, nous nous posons un moment auprès d'un étrange précipice.
Le lieu est d'une géométrie parfaite.
Tout en noir reluisant, comme l'hématite.
Un mur sur la gauche haut et lisse, une sorte de marche creusée dans le sol sur laquelle nous évoluons, d'environ 1m/1m50 de largeur, puis sur la droite, le gouffre, le vide.
Le néant infini, noir de jais.
C'est assez beau, cette brillance du matériau. Le danger est bien présent, mais le passage n'est pas long et l'on peut voir derrière ou devant la lumière de la terre ferme. De la vie normale. Cela nous sécurise.
Le petit groupe s'allonge ici pour reprendre son souffle. On sort les chips, on reprend des forces. On discute, le ton est à la rigolade et à la décontraction. Par précaution, je m'appuie contre le mur de gauche. Le gouffre n'a tellement pas de fond que quand on le regarde on a l'impression qu'il t'aspire. C'est hypnotisant.

Les gens se taquinent, se chamaillent. John, l'homme de mon rêve, toujours très nonchalant, en face de moi, s'étend et pose le coude par terre pour se prélasser. Un peu trop loin du bord hélas. Je le regarde faire, je vois son geste, je pressens ce qui arrive mais je n'ai pas le temps de le prévenir qu'il perd l'équilibre et glisse dans le fossé, d'un cri vite étouffé par le rien qui habite cet endroit.
Je me précipite au bord du gouffre, observe le fond, désemparée. Pas de doute, John vient de tomber dans le néant. Un néant qui n'a ni prise, ni fond. On ne le retrouvera pas. On ne pourra même pas aller chercher sa dépouille. Il n'est pas mort. En une fraction de seconde, il a cessé d'exister, c'est beaucoup plus brutal.

Je m'en veux de l'avoir entraîné là-dedans, il était beaucoup trop insouciant pour ce genre de voyage. Je pleure. Je me sens coupable. Même si c'est un rêve, je m'en veux de ne pas l'avoir protégé comme il se doit, de n'avoir rien pu faire que d'assister à son plongeon dans la non-existence.

Je reprends pieds dans une nouvelle réalité. Je n'ai plus envie de continuer le voyage pour l'instant. Pour l'instant, je dois faire le deuil de John, que j'ai aimé, même si ce n'était que le début de notre histoire. Je me rends à l'église, aux funérailles, je vois sa mère en larmes qui se recueille devant un cercueil vide. Je pleure avec elle. Je lui dis que je suis vraiment désolée pour tout ça. Il s'appelait Vaï, Laï, Raï ou Saï, je ne sais plus trop. Je ne sais plus quel était son nom onirique, et son nom réel. J'avais aimé un John dans un de mes rêves et maintenant, par ma faute, on enterrait le souvenir de Vaï. Ou l'inverse. Je savais qu'il y avait cette frontière entre la réalité rêvée et éveillée. Et je me disais, si tu veux Anne, il n'est pas mort. Puisque tout ça s'est passé dans ton rêve, si tu le souhaites, tu peux décider que cela n'influe pas ta réalité éveillée. Tu peux décider que le rêve n'implique pas le réel dans l'équation, et rendre la mort de John tel un simple élément n'appartenant qu'à l'onirique. Qu'à TON onirique, le seul, dissocié de la conscience collective. Tu peux.


Et je me suis réveillée sur un nouveau paramètre de mon existence.

dimanche 30 novembre 2014

Ces mecs qui me parlent d'aventure

Je ne sais pas.

Il sentait plus la merde que cette petite pouponne qui avait chié dans son froc un peu plus tôt dans l'après-midi, que j'ai pourtant gardé aux bras vingt bonnes minutes.
Est-ce que c'est son odeur qui faisait que je ne voulais pas de lui ou est-ce que je ne voulais pas de lui à cause de son odeur?

Il a pourtant tout pour plaire ce garçon. Il est beau et charmant, sensible, drôle, intelligent, il a mon âge, il danse, chante, multi-instrumentiste, fait du théâtre, écrit, compose. Il est sportif. Il est kiné, bonjour la dextérité. Et surtout, il est intéressé. Sous couvert de l'humour, il me fait des avances. Pas très fines, les avances...que je ne peux m'empêcher d'être saisie par le fou-rire lorsqu'il tente des rapprochements peu discrets. Pardon à lui.

En ce moment, je n'ai pas envie que l'on m'invite à danser.

En ce moment, j'ai pas mal d'occasions. Mais même quand je joue avec le feu, quand je me pose moi-même au bord du précipice, que je me pousse un peu, pour voir, l'adrénaline. Je n'ai pas envie de sauter. Je n'ai pas envie que d'autres me prennent dans leurs bras, ne serait-ce que pour avoir moins froid.

Je crois qu'à sa manière, il a rehaussé ma barre d'exigences, et celle de mes valeurs.
Pas plus tard que tout à l'heure, lorsque je disais au gérant de ce café que j'étais en couple avec mon mec extra, il m'a fait de grands yeux :

- LE mec extra? Celui que je connais? Ouaouh. C'est pas n'importe qui. C'est un homme précieux. Il a de la chance de t'avoir. Mais tu en as aussi. Si j'étais une femme, je crois que je serais amoureuse de lui.

Les gens continuent à me raconter à quel point il a été un tremplin, un soutien dans leurs vies, à quel point ils sont admiratifs de ce qu'il est, de ce qu'il fait. Moi aussi, je suis admirative, pleine de respect. Lorsqu'il prend la parole, et que mon épaule doucement touche la sienne, je me sens un renfort silencieux. Une allié à sa cause, comme il peut formidablement l'être à la mienne.

J'aime qu'il se réalise.

Je trouve ça rare. Et quand je sais qu'il n'a pas eu d'histoires depuis bien six ans, qu'il est farouche et exigeant, je me sens emplie de reconnaissance. Qu'il m'ait choisie moi. Et pas quelqu'un d'autre.
Qu'il m'ait fait de la place dans sa vie, si complète.
Je ne sais pas.

Ce n'est pas comme si j'étais davantage rassurée.
Je sais qu'avec lui, tout peut se terminer du jour au lendemain.
C'est juste que je ne sens plus le besoin de me rassurer en les autres.

mercredi 19 novembre 2014

Il est beaucoup trop tard pour être philosophe

Tu me manques.

Je me réécoute ton vieux message sur mon répondeur en me marrant comme une débile quand tu prends ton accent du sud à peine exagéré pour déclarer "salut, c'est la bichounette! la bichounette des quartiers qui appelle sa panthérounette!".

Tu me manques. Tes fous-rires solitaires me manquent. Ils sont contagieux. J'ai terriblement envie de te regarder sur le lit te plier en deux, la crampe du sourire. Tu me manques. Nos combats de tétons me manquent. Tels des gamins, se donner des défis bizarres à relever. C'est un peu comme si c'était ta première histoire, n'est-ce pas? Comme si tu découvrais ce qu'était l'amour à deux, partager, s'ouvrir sans honte, sans débat. Tout ça. T'es un peu mon renard à apprivoiser à moi. Cela prend du temps, pour te découvrir. T'effeuiller au fur et à mesure. Doucement, passer le savon sur ta peau. Effarouché. Et le fait de savoir que ce simple geste là dans ta vie, tu ne l'as accordé que très peu de fois, ça le rend précieux. Ça rend tout précieux. Chaque étape anodine de franchie, un véritable trésor à mes yeux.

Tu sais, j'ai mon coeur qui vadrouille un peu partout à la fois, et j'ai pas les yeux dans la poche pour autant. Mais je crois que tu le sais. Je crois que tu vois les serrages de bras à la fin des concerts, et que ça te va bien comme ça. Après tout, tu la vis toi aussi, la place de tous les regards. Tu la connais. Elle et ce qu'elle implique, ce qu'elle remue en les autres. Moi j'ai confiance en toi. Mais c'est pas difficile, t'es du genre admirable alors. J'ai confiance en toi pour ce qui est de moi. J'ai confiance en ce que tu peux m'apporter. Me transmettre. J'ai confiance en l'amour, le respect, la vertu que tu me portes. J'ai confiance en mes faiblesses parce que je te les communique. Je te les offre. Sans m’apitoyer, ni me conforter dans mes erreurs. Juste, ensemble, se donner le courage d'être ce que l'on est, tout en continuant nos efforts pour évoluer vers d'autres choses.

En ce moment, je lis, écoute, regarde pas mal d'informations sur divers courants de pensées et leurs dérives. Aussi éloignés soient-ils.
Je me dis qu'on dit tous la même idée avec des mots différents.
Qu'on va tous au même endroit sur des routes variées.
Je me dis que le monde n'est pas si incohérent, que le reflet de la société non plus, vis à vis du reste.
Je me dis qu'on a souvent ce que l'on veut, mais qu'on ne désire pas forcément les bonnes choses de la vie.

Toi, je t'ai souhaité. Lorsque j'ai écrit sur le petit papier "les hommes sont courageux".
Lorsque j'ai désiré très fort "je veux prendre le temps".
Tu étais la formulation de mon vœu.

Alors au fond, même si c'est difficile à admettre pour moi, ça ne regarde personne.
Parce que c'est au fond, justement.
Bien là. Dans l'intimité de chacun.


samedi 25 octobre 2014

Décontractés du gland

Ce matin était un beau cadeau.
Ses bras qui reviennent me tenir chaud alors que je me rendors doucement contre son cœur. C'étaient des gestes qu'il ne se permettait pas forcément, avant. Je le vois prendre confiance, s'ouvrir à moi. Étendu dans mes draps, je le vois chez lui. En sécurité, dans son petit cocon intérieur qui se superpose à mon être. Je lui ai dit, depuis quelques temps, tu me touches différemment. Dans tes mains, c'est toujours aussi doux, mais il y a quelque chose de plus. Une certaine valeur ajoutée. Comme si mon visage entre tes doigts, c'était précieux. Je le sens. Tu es de plus en plus libre. Léger. Tu te permets de vrais fous-rire à gorge déployée. Tu te permets de jubiler à mes couillonnades, sans bienséance. Tu te permets de lâcher des caisses en me regardant dans les yeux. Parce qu'il n'y a pas de honte. Il n'y a pas de peur. Il n'y a que toi et moi. Tels que nous sommes.

vendredi 17 octobre 2014

Les rencontres incongrues à la première heure

Ils sont marrant ces gens qui peuplent ma rue à une heure du matin.
J'avais pu côtoyer un de ces soirs ceux qui essaient de t'intimider mais qui n'y parviennent qu'à moitié.
Je découvre ceux qui essaient de te rassurer mais qui n'y parviennent qu'à moitié.

Mise en situation :

Je rentre chez moi, il est bientôt une heure, le quartier est désert.
J'entends quelqu'un derrière moi qui court d'un pas vif mais discret dans ce qui semble être ma direction. En même temps, il n'y a que moi...
Je me retourne.
L'homme comprenant mon inquiétude, m'aborde en continuant sa course :

- N'aie pas peur! C'est juste qu'avec le bracelet (il me montre sa jambe) je suis en retard pour rentrer à la maison...
- Ah! Je comprends. Bon courage!

Je lui fais un signe cordial de la main tout en m'apercevant qu'il s'arrête et sort ses clefs....pour ouvrir la porte à côté de la mienne...

Bon...

dimanche 5 octobre 2014

La vie est un théâtre, tout proche de La Scala de Milan

25/09/14, 14h26
En tailleur sur la Piazza del Duomo.
Les dalles sont chaleureuses et les pigeons me tournent autour.
"Assise comme cela, tu fais venir l'inspiration, n'est-ce pas?" me demande un vendeur de bracelets porte-bonheur.
Je viens de rencontrer mon cousin musicien milanais.
Emotions.
C'est la première fois que nos générations se côtoient.
C'est la première fois pour moi que le contact s'établit d'une frontière à une autre.
Les pigeons sont étranges. Il y en a un tout rabougri qui essaie de me monter dessus. Il y en a un autre qui est amoureux. Tout près de moi, il reste sans bouger. A me regarder.
Les gens nous prennent en photo.
En réalité, impossible de rester assise par terre sur cette place del Duomo, sans rameuter les foules...
Elles sont bien trop curieuses.
Il est 16h00. Une heure et demi que j'essaie d'écrire ce texte.
C'est très amusant.
Pour les autres surtout, apparemment.
Un bel italien aux yeux bleus de folie m'invite à boire un verre. Des jeunes filles veulent savoir si tout va bien, si je suis assise, là, de mon plein gré. Un grand père de Como à l'humour acéré me demande lui aussi s'il peut me photographier, se moquant de l'attraction que je suis, et me raconte sa vie pendant toute l'heure.
En italo-franco-anglais.
J'ai la mission de transmettre à mes parents de sa part que je suis une véritable MERAVIGLIA GENETICA!!
Avec deux points d'exclamation.
J'ai l'impression d'être en représentation.
La vie est un théâtre, tout proche de La Scala de Milan.
16h29
Une revendicatrice raffinée.
Je me souviendrai longtemps de ce qualificatif.
En attendant, je suis dans la Santa Maria Presso San Satiro, et j'ai la main qui me brûle énormément.


dimanche 28 septembre 2014

Les madones et leurs blonds bambini

24/09/14, 14h18
Les gens parlent cette langue qui chante autour de moi.
J'ai cru, il y a bien trois ans, parvenir à en cerner les prémices. Mais aujourd'hui je me fais bien embrouiller quand il s'agit de commandes et je n'ai pas tant de jours que ça devant moi pour ne plus me faire avoir comme une bleue.
Des petites boucles blondes à l'accent à croquer.
Elles me pointent du doigt, m'appellent signorina mais je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elles me racontent.
C'est frustrant, assez.
Je suis au parc. Indro Montanelli.
En face de la fontaine, et de cette grande bâtisse qui ne porte pas de nom sur Google Maps.
Je reconnais les lieux, même si je ne les ai physiquement jamais traversés.
C'est parce que tout se ressemble?
Ou bien que mes visites se font en rêve?
Je trouve les artères principales et les rues beaucoup trop grandes pour une ville italienne.
Puisque c'est comme ça, je pars en quête d'une gelateria.
17h44
Seule à la Pinacoteca  di Brera.
La ventilation pour unique amie, ou en tout cas, un bourdon qui y ressemble.
Je ne sais pas quand ce dédale prendra fin.
Déjà plus de trois heures que je déambule.
Tombée amoureuse de Cima, Bellini, Crivelli.
Hayez.

samedi 27 septembre 2014

Changer d'égard

23/09/14, 20h55
Piazza del Duomo.
Les pirouettes lumineuses qui s'élancent jusqu'aux pointes de la cathédrale font de bien originaux feux d'artifices.
Il manque quelque chose, quand même.
Il manque toi.
A quoi ça sert, tous ces magnifiques paysages urbains, si t'es pas là à côté de moi pour en perdre les mots ensemble? Pour se poser sur les marches un instant, comater. Comme de gros oreillers mutuels.
J'ai froid.
C'est beau.
Un murmure à l'abandon. Une extase sourde et solitaire.
Ce n'est peut-être plus de mon âge, les voyages esseulés.

jeudi 25 septembre 2014

Changer de gare

23/09/2014, 15h00
On pourra dire ce qu'on veut, l'Italie c'est quand même quelque chose.
Premier jour d'automne, je suis dans un train. Les sommets défilent, c'est un chemin qui m'est étranger.
Je m'y rends toujours dans ces eaux là. Je crois que c'est parce qu'il me faut bien tout l'été pour me décider.
Pour me résoudre à partir seule.
J'ai 150€ en poche.
Une de mes activités préférées? Déambuler. Anonyme dans la ville.
A la recherche d'un son, d'une odeur, d'une couleur. D'un fragment de chez soi dans le cœur.
Je ne peux pas lutter contre l'appel romain.
Hâte de m'y perdre. Et de me retrouver. Me ressourcer dans la surprise de l'instant.
Ça faisait au moins trois ans.
Et tous les ans, je rêvais de repartir. Plus forcément pour un ailleurs. Mais pour là-bas.
Stazione Bardonecchia.
Et la suivante?
16h35
 Milano. Panini Durini.
Je me sens amoureuse.
Mais d'un peu tout le monde à la fois.
Les italiens sont choupinets. Craquounous.
Et déjà se prendre en pleine poire de larges sourires ravageurs.
Sentiment de liberté conquise, là, à nos pieds.
Marcher.
Des heures, d'une foulée lointaine.
Se laisser faire. Les feux rouges virer au vert.
Les piétons ont les mêmes feux de circulation que les véhicules à moteur, et les cyclistes traversent au passage clouté. Au début c'est assez déroutant, à ne plus savoir où regarder, où se placer dans le trafic.
Je me sens bêta, le genre de gentille fille à qui il faut lentement lui expliquer comment ça fonctionne, la vie.
C'est plutôt inédit.
Ou disons ancien, au point de ne pas récupérer en sa mémoire de frais souvenirs.
Milano. Enchantée de te retrouver.

lundi 22 septembre 2014

Cruel timing

Exorciser encore.

Après toutes ces déclarations déversées dans le blanc de tes yeux, nous nous sommes mis à longer le canal. Doucement. Nous nous sommes légèrement perdus aussi. Mais c'est un peu pareil à chaque fois.

Nous avons marché longtemps, comme à notre jeune habitude. Une satisfaction sourde, la réalisation de mes desseins romanesques. Le bruit des voitures commençant sérieusement à nous agresser les tympans, nous nous sommes posés à l'ombre d'un parc, comme tant d'autres. Tu m'as tout raconté. Et pendant ce temps là, je t'ai dévoré du regard. On a rarement une telle occasion de dévisager d'aussi près son idole de la sorte.

Je comprends enfin la tristesse dans tes yeux. Ton corps d'enfant. Ton sourire frileux et ton dos vouté. Je comprends ton faux optimisme qui ressemblait davantage à de l'indifférence par défaut. Ta solitude, ta timidité, ton incapacité à faire un choix. Ta blessure d'abandon. Ca me saute à la gueule maintenant, dans chacune de tes photos. Moi qui étais subjuguée par ton charme et ta beauté, je passais bêtement à côté de tout le reste. Pardon. Tellement pardon.

Tu m'as tout confié. Tu avais sans doute besoin de t'épancher quelque part. En vue du poids de ces secrets là, je compatis. A ton histoire, à ton parcours. Ton complexe, moi qui le pensais surjoué pour la passion du drame et de la séduction, n'est peut-être pas si factice. Peut-être même que tu es sincère.

J'avais envie de faire pipi, tu avais froid. Bien qu'à deux reprises, tu t'es dit que ce serait une bonne chose que tu rentres seul pour écrire, tu m'as proposé de t'accompagner chez toi. Feux d'artifices en mon crâne. Découvrir ton intérieur. Mes rêves en orbite, qui bientôt planteront leur drapeau sur le flanc de la réalité. J'enlève mes chaussures sur ton canapé. Des disques partout, empilés sur eux-mêmes. Tu entames un défilé musical. Je réussis même à te faire chanter avec ta guitare des bribes de nouvelles chansons. Ça sent la dépression. Tu me feras écouter tes artistes préférés. Tu danseras aussi. Nous fredonnerons ensemble, des improvisations ragtimesque. Tu me liras Léonard Cohen. Je t'aimerai comme avant, dans un lointain souvenir. Et quelques heures après, les albums commençant à s'épuiser, les métros aussi, je déciderai de rentrer. Tu ne me proposeras pas de rester chez toi dormir. Tu t'inquièteras seulement de mon moyen de retrouver le chemin.

Et, nos pas s'entassant dans le couloir de l'entrée, après les deux bises de convenance, tu reviendras m'embrasser. Je perdrai pieds, un peu, en m'enfuyant dans la cage d'escalier. Tu me demanderas plus tard si cela m'a mise mal à l'aise. Je te répondrai que non, que ça m'a juste éveillée à des désirs enfouis, des envies de te pétrir très fort.

- Mais tu ne l'as pas fait.
- Apparemment non.
- Je n'insisterai pas, alors.

On parlera brièvement de mon mec extra, tu te féliciteras de n'avoir eu à attrister personne. Et moi, je resterai seule sur ma faim, me mordillant les lèvres derrière mon écran de téléphone.

- Les actes manqués de timing... C'est pas comme si je l'avais envisagé depuis quatre ans...
- Tu relieras sûrement ça à quelque chose...