jeudi 15 mai 2014

Traquenard 2

Il m'a serrée dans ses bras.
J'avais oublié ce que ça faisait de tenir un homme comme ça, au creux de ma paume.
J'avais aussi oublié qu'il existe des odeurs et textures épidermiques complètement enivrantes. J'avais aussi oublié que c'était un homme. Un bel homme. Masculin. Du sexe opposé.
Et ça fait tellement longtemps.

Je me suis engagée envers moi-même, à faire une diète sensuelle jusqu'à septembre au minimum.
Neuf mois.
Émoi neuf.
Alors je tremble. Tapie dans les recoins sombres de mes envies, je convulse.
De rage et d'amertume.
Conflit d'intérêt entre le présent et le futur, l'immédiat et la durée.
Comment résister.

Ne pas projeter ses désirs sur un avenir qui n'existe pas et vivre ancrée dans le présent, là est la véritable profondeur de la vie.
Mais n'assouvir que ses envies immédiates sans penser aux conséquences futures de ses propres actes, n'est-ce pas la vie la plus superficielle qui soit?

Un grand tiraillement. Je me suis promis de m'abstenir, mais mon corps réclame. Mon coeur vient s'étaler du bout des doigts sur une chair prompte aux balades. Mes sens pleurent de plaisirs indécis, lorsqu'en alerte ils répondent aux signes des peaux qui s'entrelacent. Et quelles peaux! J'en eus fait tout un pamphlet, il y a deux ans de ça. J'en eus employé des adjectifs gourmets et nutritifs, sans n'être jamais assez repue de ce plat qui se mange froid et chaud, à toutes les sauces. Alors, lorsqu'il m'a serrée dans ses bras, je me suis laissé un temps pour moi, profiter des affres de l'existence.
Et nous avons dansé.

Sur le lit, nos courbes en connivence, le sol se soulevait. Nous ondulions ensemble d'une tendresse chatoyante, aimable et fraiche comme le printemps. Qu'est-ce que j'aime les danseurs. Ils ont le sens du phrasé. Du toucher gracile. Puis, lorsque nos gestes ont eu fini de s'échauffer, il me fallait éteindre le feu, calmer nos ardeurs. Il le savait. Que mon corps était en jachère. Il le savait. Je ne lui avais pas expliqué tous les détails du pourquoi mais ce n'était pas comme si je l'avais pris au dépourvu et laissé là, sur le carreau. Nous étions debout devant la porte d'entrée lorsqu'il m'a avoué : "J'ai envie de toi. Je ne sais pas si je dois te le dire.". Se mordre les lèvres et se ronger les ongles. Qu'est-ce qu'il est désirable, qu'est-ce qu'il respire la tarte meringuée d'une gourmandise inquantifiable. - "Je ne souhaite pas faire quelque chose que tu pourrais regretter le lendemain.", mais il m'assure qu'il n'y a rien à regretter.

Je reste consternée. Pourquoi moi. Il en a pourtant eu des occasions, des filles plus belles que moi. Plus sexuelles, plus abordables. Je veux dire, en vue de ce qu'il est et émane, il n'a aucun mal à trouver, et c'est plutôt elles qui viennent à lui en général. En plus, c'est quelqu'un d'honnête et de sentimental dans ses relations. Je réfléchis. J'ai longtemps pensé que tous les hommes étaient comme cela. Mythomanes, manipulateurs. Qu'ils avaient toujours en tête d'effleurer les femmes, peu importe les intentions désintéressées dont ils faisaient preuve. Je pensais tous les hommes comme ça parce qu'en mon vécu, je n'avais aucun contre exemple. Ils avaient beau se justifier : "d'ordinaire je sais me tenir", "je ne pensais pas à ça quand je t'ai proposé qu'on se voie", "avec les autres filles ça ne se passe pas comme ça", "je ne me reconnais pas", "je n'avais pas envie à la base", etc... je finissais par ne plus les croire du tout vu qu'ils avaient tous le même discours à mon égard. Et puis j'ai réalisé, en entendant d'autres témoignages de femmes sur ces mêmes hommes, complètement différents en leurs présences. Ce n'est pas qu'ils sont tous comme ça. C'est qu'ils sont tous comme ça avec moi. Que le dénominateur commun de leurs agissements sournois, c'est moi. Que c'est moi qui attire ce genre de situations, à répétition. Et que s'il y a quelque chose à modifier dans l'équation pour sortir du sujet, ça ne peut qu'être une partie de ce facteur de récurrence. Mon comportement. Mes énergies. Les désirs que je projette.

Je n'ai pas réussi à partir tout de suite, mais je suis restée habillée. Nous nous dévisagions la tête posée sur l'oreiller, et je lui caressais les cheveux. D'une tendresse insatiable. Nos mains courraient dans tous les sens, se rencontraient parfois. L'une dans l'autre, elles s'apaisaient. Deux heures de chamboulements. Enfin, lorsque la lune se fit à son sommet, je nouai mon manteau. Doucement, nous descendîmes les escaliers, en silence. Il rejoignit son vélo alors que je lui faisais un signe d'au revoir de la main, de loin. C'est trois rues plus tard que j'entendis les battements de son pédalier derrière moi. Il se cala un instant sur mes pas, pour une dernière promenade nocturne. J'observais cette pleine lune affriolante de splendeur subjuguer mon attention. Lui, m'observait. Quand je me rendis compte de son regard posé sur moi et que nos yeux interceptèrent la même seconde, il eut un éclat de rire spontané. Puis la cadence de ses pieds s’accéléra et il me doubla, pour disparaître au bout de la rue, sans un mot de trop.

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Du temps à tuer?