lundi 3 octobre 2016

Et je fais des rêves qui flottent sans jamais accoster

Il fait nuit.
J'ai amarré Laurène Lhorizon du bout des doigts sans voir le soleil tomber.
Des nouvelles notes me rentrent par la tête, elles sont pourtant toujours au même endroit sur le clavier. J'entends les perspectives. L'horizon. Se profiler.

Tiens, mes voisins d'en face doivent revenir de la mer.
C'est marrant, ces intimités qui se chevauchent d'une fenêtre à l'autre.
Et sous chaque lumière, des vies pleines, qui ne se rencontrent probablement jamais.
Même dans une cage d'escalier.

Je suis un peu tombée en amour cette semaine.
Je me demande pourquoi chez moi, lorsqu'il y a un élan naissant, il se fait submerger d'une mélancolique tristesse. Mon cœur se tord lorsqu'il s'anime. Depuis longtemps.
J'ai de la peine d'aimer.

Sur le retour et durant le millier de kilomètre où j'ai laissé le paysage défiler, je me suis demandée.
Est-ce que ce n'est pas venu de là. De mon premier coup de foudre il y a onze années de cela.
De cette conviction même d'avoir trouvé l'homme d'une vie. Et de lutter contre elle, la vie, au nom d'une intime conviction, tout essayer, s'acharner pour de vrai, pour cette vérité qui s'est transformée en bonne paire de claques dans la gueule lorsqu'acculée contre le mur il n'était plus possible de détourner les yeux. L'homme de ma vie s'était marié à une autre, et c'est bien le seul homme de mon entourage à s'être marié d'ailleurs.

Jusque là, j'avais vécu des histoires amoureuses. En croyant que l'amour triomphait toujours, je me suis laissé piétiner, concentrée sur l'avenir radieux que pourrait m'apporter mon courage lorsqu'il vaincrait mes problèmes. Je me suis laissé abuser, croyant que l'important c'était d'aimer sans concession. Je me suis méprisée moi-même en clamant des phrases comme "je choisis d'aimer plutôt que d'être aimée", peu importe les contextes.

Je survivais parce que, j'avais toujours quelqu'un à aimer. Quelqu'un à qui rêver. Quelqu'un en qui placer mes espoirs.
J'étais constamment, depuis le plus jeune de mes souvenirs, dans un état amoureux.
Mais lorsque l'on croit avoir trouvé l'homme de sa vie, le seul.
Et qu'il se marie à une autre.
Il y a un gros caillou qui vient défoncer la machine.

Je n'avais soudain plus personne à aimer, puisque mon coeur s'était arrêté sur lui et ne souhaitait plus recommencer le processus de tomber à nouveau en amour. Puisqu'il s'était persuadé avoir tiré le bon numéro, sans aucun doute.
Je me retrouvais dans un état amoureux paradoxal. Où le simple fait d'aimer procure l'espoir, espoir qui vient se fracasser contre une réalité irréfutable. C'était pas le bon.

C'était pas le bon, quoi.

Le coeur ne veut pas admettre qu'il a eu tort.
Il ne souhaite plus aimer personne d'autre, mais l'état amoureux le fait vivre.
Et l'espoir qu'il lance contre les murs finit de l'achever.

Il y en a eu, des relations après.
Mais avec une ombre. Toujours la même, qui vient hanter mes rêves.
J'aimais toujours plus ou moins deux hommes à la fois.
Cet homme de ma vie, et les autres.
Une sorte d'ambivalence, et l'impression de me tromper.
D'être infidèle à mes intimes convictions.

Mais il fallait continuer à vivre. Tourner les pages...tourner les pages....
Ce n'était pas difficile de s'amouracher. J'aimais les hommes, ce sentiment qui transporte ailleurs.
Mais j'avais mal.
Ca m'était difficile d'aimer.
Ca me rendait triste, me rendre compte que je commençais à me laisser submerger par l'espoir.
Peut-être...comme un réflexe de protection. On a déjà mal avant de recevoir la baffe.
Je m'étais probablement trop habituée à souffrir d'espérer.

J'avais, qui sait, trop tiré sur la corde de l'émoi.
J'avais pas eu peur de me prendre des coups, et je m'étais pas rendu compte tout de suite que j'étais amochée. Je m'étais malmenée toute seule.
Je n'avais pas eu cette priorité de me respecter face aux blessures d'autrui, face aux aléas.

Quand je faisais une rencontre, quand je tombais amoureuse, il y avait ce grand vide qui se rappelait à moi. Qui me disait, il n'y a plus rien. Il n'y a pas d'espoir. Tu te trompes, tu vas te tromper, tu t'es déjà trompée. Tu vas dans le mur.

Aimer, c'est aller dans le mur.

Peut-être.
Peut-être que c'est la petite voix qui me fait de la peine quand les papillons s’immiscent en mon ventre.
Peut-être que je ne sais pas comment dérouiller la machine.
Peut-être que je fais semblant de le vivre bien, et que mon corps subit le choc constant d'être en état amoureux. Qu'il est sans cesse en souffrance, reflet de ma voix intérieure.

"Toi Anne, tu es faite pour aimer."
C'est ce qu'on m'avait dit un jour.

Comment peut-on se saboter une raison de vivre de la sorte?


2 commentaires:

  1. Je me le dis souvent, que j'aime être dans cet état amoureux quand bien même cela soit un non-sens, une élucubrations voire même un fantasme. Et que je préfère être dans cet état amoureux, aussi avec sa face parfois dure, plutôt que de ne pas l'être.

    En fait, peut-être cela ressemble-t-il à ce que tu écris, je me dis souvent que "j'aime avoir le cœur rempli". Sans que je n'y ai trouvé encore la moindre limite.

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    1. Peut-être que c'est juste une question de profil psychologique et de définition d'avoir "le coeur rempli". Je veux dire, on peut remplir son coeur de tellement de manières différentes. L'état amoureux est peut-être le parcours le plus rapide pour moi pour me remplir le coeur, mais aussi celui qui comble des manques et des blessures. Je me dis alors qu'il suffirait de guérir pour s'ouvrir à d'autres formes de plénitude. Et même si j'aime cet état, que j'aime aimer, je sais qu'il n'est pas neutre et désintéressé. Je ne cesse de chercher une pureté de la forme...

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Du temps à tuer?